Sans vélo, chez nous, vous faites la honte (II)

Article : Sans vélo, chez nous, vous faites la honte (II)
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24 janvier 2015

Sans vélo, chez nous, vous faites la honte (II)

Je vous ai dit dans la première partie de ce billet, tout le bien que fait le vélo et ce que nous en faisons à Kapanga, un territoire aussi vaste que la Belgique, situé au nord-ouest de Lubumbashi, proche du Kasaï-Oriental. Ce vélo, expression d’un certain bien-être social, attribut d’une « évolution » ou carrément réservé aux « évolués », cette classe sociale sous le Congo des belges, s’est démocratisé, devenant simplement un des nôtres. Vous avez une automobile, mais pas de vélo ? Vous aurez honte de vous ! Aussi, faut-il le souligner, un vélo ça doit savoir « tindiker », faire le « moustrongue. » Le mien ne pouvait pas le faire. Ceci n’est qu’une exclusivité partagée par certains milieux ruraux congolais où le vélo remplace l’automobile.

Vélo au Kasaï Oriental
Un « moustrongueur » au Kasaï-Oriental, RDCongo. Source: grandkasai.canalblog.com

Un peu de vocabulaire à propos du vélo

Je préfère vous fixer d’abord dans le contexte social et temporel. Entre 1993 et 2007, et même jusqu’ici, le vélo a pris des allures assez inquiétantes, et en même temps salutaires, à Kapanga et dans les environs. Le vent a soufflé au Kasaï, et comme la perestroïka, il est arrivé à Kapanga, à près de 200 km à l’est de Mbujimayi, la capitale du Kasaï Oriental. Durant ce temps, le Kasaï, qui a une longue tradition minière avec son diamant vertigineux, a oublié la culture des champs. La faim avait copieusement frappé des villes entières, principalement Mbujimayi, Mwene-Ditu, Ngandajinka et même Tshikapa, au Kasaï Occidental.

Des hommes ont pris leurs vélos jusqu’à Kapanga et les environs, où sans mines, l’agriculture vivrière ne faisait pas une population malheureuse. Pourtant, elle avait besoin de sel, de sucre, et de bien d’autres articles de luxe. Bienvenue alors les « moustrongueurs » ! Salut les « tindikeurs » !

Moustrongueur, tindikeur

Vélo
Deux « Tindikeurs » sur une route vers Mwene-Ditu. Source: abk.over-blog.com

Ces mots qui ne sont pas à chercher dans le Larousse, n’existent qu’en RDC et exclusivement chez ceux qui en ont la pratique. Vous avez de la chance sur Mondoblog ! Enfin, vous le méritez bien ! Un « moustrongueur » est cet homme qui charge démesurément son vélo des marchandises au point qu’il ne peut plus monter dessus pour le conduire ou rouler, à certains moments. Il pousse et parcourt des kilomètres, gambadant des collines et bravant le soleil « méchant » et la pluie. Le mot est probablement une déformation de l’anglais « stronger », le plus fort, au comparatif. En Lunda, comme en Tshiluba, langues respectivement des vendeurs des produits agricoles (peuple de Kapanga) et des acheteurs (venant du Kasaï), ont agglutiné ou déformé, c’est selon, « stronger » en « moustrongueur. »

Le « Tindikeur », lui, reste la même personne, mais cette fois, avec une charge telle qu’il est impossible de monter sur son vélo. On le pousse et on ne peut y aller seul. Les tindikeurs se soutiennent donc à des collines ou sur des tronçons routiers malaisés. Le guidon du vélo est remplacé par un autre en bois, capable de faciliter la position debout, moins malaisée à ce transport dangereux. Du Lingala, une langue parlée à l’ouest du pays et un peu partout dans une moindre proportion, « tindika » est un impératif du verbe « ko tindika » qui signifie, pousser.

Des vélos spéciaux

Vélo maide in RDC
Le vélo spécial en bois en vogue au Kivu, RDCongo. Source: grandkasai.canalblog.com

Le besoin crée l’organe. Ce principe s’applique aussi chez les trafiquants à vélo, chez les tindikeurs et moustrongueur. Les vélos ordinaires, comme celui que j’avais jusqu’en 2008, ne peuvent servir au moustrongue (la pratique des moustrongueurs). Ils sont fort légers pour cela. Les connaisseurs cherchent des cadres de vieux vélos, des fabrications anciennes donc, vus comme efficace, et en fer dur et mûr. A défaut, les vélos légers sont renforcés par des bâtons durs le long du cadre et des fourches. Parfois, et c’est de plus en plus en vogue, des forgerons et ajusteurs ou soudeurs en fabriquent.  Cela vient de Mwene-Ditu et ça marche bien. A l’est de la RDC, la pratique semble aussi avoir cours, avec des vélos en bois, sans chaîne de transmission. On les pousse seulement, un peu comme chez les tindikeurs.

Tout cela, malheureusement, pour le ventre seulement. Plusieurs en sont tombés malades, d’autres en sont morts. Mais il y en a quand même qui ont annoncé en avoir tiré des profits considérables. Oui, c’est le vélo, en effet, sans lequel cette riche expérience n’aurait pas existé. Moyen de transport des pauvres, mais aussi indépendant, le vélo a régné en cette période aussi à cause d’un mauvais état des infrastructures routières. Les camions, peu nombreux  dans la région, évitaient leurs routes presque impraticables. Aussi, leurs tarifs étaient prohibitifs.

Le vélo reste sans conteste, le moyen de transport le plus employés dans plusieurs milieux ruraux congolais que j’ai visités : Kapanga, Sandoa, Mutshatsha, Lubudi, Kamina, Kasaji, Lwiza, Mwene-Ditu, etc.

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