On déloge des morts de leurs tombes à Lubumbashi

Article : On déloge des morts de leurs tombes à Lubumbashi
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25 septembre 2014

On déloge des morts de leurs tombes à Lubumbashi

Lubumbashi, deuxième ville de la République démocratique du Congo connaît une forte croissance démographique depuis près d’une décennie. A ce jour, il n’y a pas que les anciens quartiers qui sont saturés, mais les cimetières le sont aussi. Le lundi 22 septembre dernier, alors qu’ils creusaient une tombe, deux hommes sont tombés sur les ossements d’un mort précédemment enterré. Ils ont été assemblés et jetés pour libérer la tombe au profit d’un autre. Ceci est une pratique en passe d’être acceptée comme normale.

Kamasaka
Un homme montre le fémur d’un mort tiré de sa tombe, à Kasama-Lubumbashi. Photo M3 Didier

C’est cela qui arrive quand le deuxième plus vaste pays d’Afrique connaît un accroissement démographique en milieux urbains sans aucune urbanisation et que la pauvreté augmente. Lubumbashi croît chaque mois qui passe, sans savoir jusqu’où il s’arrêtera. Déjà, le bourgmestre de la commune Annexe, cette commune qui réunit tous les quartiers et villages périphériques de la ville, a sollicité la médiation du ministre de l’intérieur du Katanga, pour arbitrer un « conflit » sur la limite avec le territoire de Kipushi. Le quartier à problème se situe à Kamasaka, un village finalement intégré à la tentaculaire ville de Lubumbashi, à l’est, non loin de la commune Ruashi. C’est justement le cimetière de ce village-quartier Kamasaka, déjà fermé aux inhumations, qui continue à recevoir des morts.

Kamasaka
Des ossements d’un mort assemblé, sortis de leur tombe.

Les deux grands officiels et traditionnels cimetières de Lubumbashi, Sapin (cher et peu accessible) non loin du quartier Industriel, et Penga Penga, à l’Ouest de la ville, à côté de la cité Gécamines, sont saturés et fermés eux aussi. Mais ils restent malgré tout ouverts puisqu’ils reçoivent chaque jour des morts! Dans l’un comme dans l’autre, les espaces étant épuisés, on enterre selon le même principe : creuser légèrement, 1.5m tout au plus, déposer et couvrir ! Nos cimetières puent, puisqu’on ne va pas en profondeur. Et malgré cela, on ne manque pas de tomber sur des ossements d’autres morts.

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Une tombe de fortune à Kasama, Lubumbashi. Photo M3 Didier

On fait toujours ainsi

La pratique est notoirement connue et, à Kamasaka, on fait de même. « Lorsque nous demandons pourquoi on fait cela [creuser, écarter les ossements anciens, les jeter et mettre dans la même tombe un deuxième corps], on nous dit, on fait toujours ainsi », explique un habitant de Kamasaka. Dans le même cimetière, près de 8 personnes attendaient un jeune homme qui creusait un petit trou, pour y enterrer un nourrisson que la famille ne sait enterrer dans les cimetières « ordinaires », enfermé dans un carton en papier attaché à un vélo lui-même appuyé à un arbre. Le trou n’est pas allé plus loin qu’un mètre et le corps du bébé y a été déposé ! Un homme présenté comme gardien du cimetière explique que parfois, les gens viennent enterrer nuitamment, frauduleusement alors. Mais ce n’est pas exclu que cela soit avec quelques complicités, notamment celle des gardiens. C’est souvent ceux qui ne peuvent payer des frais à la mairie pour l’inhumation. Il ajoute que depuis un temps, les chiens entrent dans le cimetière, lui-même sans clôture, et fouillent de nouvelles tombes qui puent et arrivent quelques fois à exhumer les corps et les mangent ! ces chiens peuvent ramener les maladies à la maison !

« Pas d’argent, pas de dignité »

Il existe plusieurs autres petits cimetières périphériques qui connaissent le même problème, comme d’ailleurs des cimetières officiels. Un journal-école de la filière de Journalisme à l’Université de Lubumbashi titrait dans un de ses numéros « On enterre en étage » à Penga Penga. Depuis quelques mois, Lubumbashi a une nécropole, le cimetière de KASANGIRI, du nom d’un village périphérique où il se trouve, sur la route Kasenga au nord-ouest de la Ville. La rivière des anges, c’est ainsi qu’il s’appelle, est très chère et non accessible à plus de 80% des Lushois. La tombe ordinaire est accessible à environ 1.200 USD. Il faut le salaire d’un an pour un travailleur qui touche à peine 100 UDS. Certaines tombes vont jusqu’à 6.000 USD et pour les fonctionnaires de l’Etat, ils paient 600 USD. Eux aussi, pour accéder, il faut jeûner durant six mois, si son salaire mensuel est comme la plupart, de 90.000 FC, 100 USD.

Kamassaka
Le corps d’un bébé enfermé dans un carton attendant son inhumation au cimetière. Photo M3 Didier

C’est malheureusement-heureusement (c’est selon !), le seul lieu où l’on peut être enterré dans le respect dû aux morts et dans la dignité.

Oui, la dignité, a rappelé un défenseur des Droits de l’Homme qui a dénoncé le scandale de Kamasaka, couvre l’homme de sa conception à sa mort. C’est-à-dire, le suit jusque dans sa tombe. Les africains, malgré leur besoin d’argent ou leur pauvreté, ne devraient pas l’ignorer ni ignorer que les morts ne sont pas morts.

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