Industrie des rêves (suite)
Faire comme en Occident, être journaliste comme sur France 24, sur Rfi … voilà en quoi je résume enfin mon observation sur certaines pratiques qui ont cours dans l’audiovisuel en République démocratique du Congo. On parle « comme des blancs », on veut que sa télévision s’affiche « comme France 24 », … Le journaliste rêve et fait rêver et la télévision elle, devient sans conteste, une industrie ou fabrique des rêves.
Alors que j’étais encore étudiant en journalisme, un professeur décryptait un jour la gestuelle et l’interaction que cette dernière produit dans l’espace communicationnel entre les vedettes des télévisions et les téléspectateurs (la proxémique). C’est un cours de sémiologie de la communication. Je me rappelle encore ce qu’il disait :
« Voyez ! Pourquoi les journalistes froncent-ils les sourcils lorsqu’ils présentent les journaux? [C’est pour imiter des gestes naturels, propres à un journaliste bien connu] Remarquez bien que de plus en plus, tout le monde a désormais tendance à se tenir, pas droit en face de la caméra, mais un peu comme en diagonal ou incliné en ¾ … Et encore, tout le monde change de position des bars : un bas avance lorsqu’on lit un chapeau (l’introduction d’une information) pendant que l’autre bras recule en formant un V, et vis-versa… »
Et si ce n’est pas cela, on se tient débout. Cela fait plus confortable encore. Mais plusieurs prennent aussi presque la même position une fois de plus, cela renvoie à des postures affichées par des présentateurs vedettes bien connus sur les télévisions étrangères (occidentales). On écarte les bras en V inversé, vers la table sur laquelle, on s’appuie légèrement.
Un problème de profil des journalistes
Je ne verse pas dans la lecture sémiologique pour ressortir les dits et non-dits de cette gestuelle ou proxémique (toute une communication). Mais ce qui est intéressant c’est de constater que l’idée de faire absolument « comme sur… » ou « comme les blancs », recèle des stigmates d’une colonisation qui a longtemps présenté comme meilleures, les productions des blancs et les producteurs eux-mêmes. Pardon, j’ai peur de verser dans des considérations raciales. Le ciel m’en garde ! « kizungu » qui signifie modernisme mais surtout « ce qui est des blancs » est opposé à « kisenji » qui pour sa part désigne ce qui est relatif aux noirs vus alors comme « singes » ! (C’est du Swahili de Lubumbashi que je traduis).
Cette considération n’a jamais disparu malgré la décolonisation politique (encore sujet à caution). Il faut sans doute une décolonisation culturelle et celle-là devrait partir du profil même des journalistes. Les journalistes les plus « intègres » se livrent rarement à ces genres d’imitations, ai-je constaté. La première partie de cet article m’a rapporté ces réactions sur Facebook :
« …Pourquoi ne voir des modèle que de l’autre côté ? Nous ne sommes pas soumis aux mêmes conditions ni au même contexte, et nos sociétés sont largement différentes…ainsi donc doit-on servir différemment. Soumettez ces journalistes-là à mes conditions et je verrai bien leurs limites ! Je reconnais volontiers les qualités que j’aimerai bien avoir, mais cela ne veut pas dire que la perfection est occidentale, pas du tout. » (Fidèle Bwif Lenoir, Journaliste)
« … Ce qui manque dans les médias Rd congolais pour ne pas citer tout le continent africain, c’est seulement ce manque d’esprit de créativité. Localement à Lubumbashi si vous voyez toutes les radios et télévisions qui ont existé après 1994, eh bien sans peur d’être contredit, la majorité a tablé sa programmation sur Zénith RT. Je me réserve le respect de citer les noms des chaînes, les émissions et mêmes le générique. Aujourd’hui encore, avec un œil d’observateur, vous serez d’accord avec moi par exemple que lorsque le sport passe sur telle chaine, c’est en même temps que ça passe sur telle ou telles autres chaines. Ça signifie quoi? Ça signifie que le directeur de programme ou le journaliste producteur-présentateur et même le réalisateur sont dépourvus du pouvoir de penser (réfléchir). Par conséquent on ne peut que se référer ailleurs, ce qui n’est pas du tout mauvais mais quels jours les autres se référeront aussi à vous? Et parce que la radio-télévision est une invention occidentale, je pense à mon humble avis qu’il y a des bonnes raisons que se référer à l’occident. D’ailleurs cela est tributaire même des « écoles » qui forment les « journalistes ». La référence des formateurs c’est quoi? Si pas l’Occident !!! Si le maître est nourri scientifiquement par l’Occident, que dire de son élève? J’estime qu’il faut repenser objectivement le travail du journaliste, partant de sa famille, passant par sa formation avant de chuter par sa vie active, afin de l’adapter dans les contextes qui sont nôtres. » (Gilbert Kyungu, Journaliste)
Les fabriques des rêves
Ces pratiques de plus en plus commodes et qui semblent trouver un écho favorable sur certaines télévisions qui simulent bien France 24 ou Télé 50 elle-même imitatrice de France 24 cache mal une rêverie assez drôle. « Il faut faire comme chez les occidentaux pour être au top ou attirer »… ai-je fini par constater. Alors c’est la course à l’imitation. Difficile de se poser parfois des questions sur les plagiats dans lesquels on plonge lorsque dans une revue de presse par exemple, on se contente de copier et de lire in extenso les revues de presse des médias français ou d’autres médias un peu plus rigoureux qui produisent leurs propres contenus. Tout cela, sans les citer d’ailleurs ! Même pratique pour des reportages audiovisuels diffusés tels quels dans les émissions sportives ou dans les corps des journaux, sans citer les sources ni moins encore traiter l’info.
Cette vision du monde du journalisme ou de la pratique journalistique est à la base de la trop grande propension des jeunes à rêver d’un Occident toujours plus beau. Les journalistes eux-mêmes et partant la presse (pas forcément toute entière) vendent des rêves ou en fabriquent. Il n’y a certes pas de mal à imiter les bons exemples ou ceux qui réussissent. Que gagnerait-on, en effet, à imiter la télévision nationale, par exemple ? En tout cas, elle reste des plus critiquées. Peut-être parce plongée dans le pouvoir ou coincée par ce dernier. Mais elle se met difficilement à jour, et malgré l’imposant matériel dont elle disposerait actuellement, elle s’éloigne fort du temps de ce dernier.
Le contenu ne suit pas
Mais l’écart entre le séduisant audiovisuel occidental et les copies qu’on en fait en RDC reste le contenu. Du coup, cela démontre la pauvreté de l’audiovisuel congolais et par là, celle de ses animateurs. La réaction de Gilbert Kyungu sur Facebook en dit long. Il me semble en effet que plusieurs sont incapables d’imiter le contenu des médias français par exemple ou leurs principes de traitement de l’information (garder une distance avec le pouvoir quand bien même il s’agirait de l’audiovisuel mis sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, le cas de Rfi et France 24).
Sans doute parce qu’on ne recrute pas toujours de manière objective. Et comme il faut fabriquer des stars et peut-être des chantres et cantatrices à la place des journalistes, on passe alors à côté du principal. Et lorsqu’on peut constater la beauté du contenu étranger, on se limite alors à le dupliquer ou le pirater sans se soucier ni de crédit photo, droits d’auteurs ou des poursuites judiciaires qui pourraient résulter de l’usage de certains contenus, etc. Sans doute, plusieurs auront du mal à aller sur satellite quand bien même on leur donnerait l’opportunité, même à vil prix, faute de contenu solide.
Ceci renforce une fois de plus, lorsque les gens auront aimé ces fanfaronnades ou ce mimétisme ou lorsqu’ils l’auront détesté, le sentiment de se tourner vers les productions étrangères. Dans l’un ou l’autre cas, la conclusion reste la même. Comme les meilleurs vont demeurer du côté de l’Occident, alors on nourrira toujours les rêves de se rendre là, où il fait beau vivre et où l’on réussit tout. La presse devrait intéresser par ses analyses et l’éveil de l’esprit critique, j’ose croire. Ceci ne veut pas dire forcément faire de la presse d’opinion. Si l’on pouvait au moins produire des contenus de chez nous qui intéresseraient nos publics, certains n’iraient pas mourir en mer dans l’espoir d’habiter le paradis.
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