En RDC, le français ne porte plus bonheur
En janvier dernier j’étais avec un groupe de jeunes, à Kenya, une commune populaire de Lubumbashi. Nous nous étions réunis pour travailler sur un reportage. Sans le vouloir, j’ai énervé quasiment la moitié du groupe en lançant naturellement un joyeux « bonjour ! ». Grosse erreur ! Je n’avais pas vraiment fait attention au lieu dans lequel je me trouvais, Kenya, une commune populaire et bouillante de Lubumbashi, où le Swahili s’impose.
« Muacheko ma français yenu ile », (traduisez : oubliez un peu votre français là) me lance un jeune homme, furieux. Un autre enchaîne : « ma français iko n’aribisha mukini » (le français détruit le pays). Bon, j’étais excusé… mais mes interlocuteurs ont tenu à me dire tout le mal que ceux qui parlent français, comme moi, ont fait au pays. J’ai vu dans leurs yeux, quelque chose de similaire à de la haine. Cette réaction peut s’expliquer, elle n’est pas sans raisons. Plusieurs jeunes de mon groupe n’ont pas étudié, ils sont sans emploi et ils en souffrent, ils sont défavorisés. Comment pourra-t-on expliquer aux non-instruits que les études permettent de développer le pays tant que la RDC s’obstine à rester parmi les pays pauvres de la planète, et malgré tous les hauts diplômes délivrés et le français que parlent les intellos… De fait, il y a une certaine honte à châtier son français devant des compatriotes qui souffrent et qui n’ont pas étudié.
Les francophones congolais, peu pragmatiques
Les jeunes de mon groupe m’ont souvent dit : « votre français-là détruit ce pays », c’est leur façon de protester contre les verbiages et l’intellectualisme congolais, qui se fait toujours en français et qui est souvent plus soucieux de la bonne formule que du pragmatisme. Les politiques et la société civile se montrent incapables de dialoguer, incapables de faire la démocratie par les actes et de matérialiser la croissance économique. « Depuis quand on parle français quand on sème du maïs ? » ironise un ami. Dernièrement un conducteur de taxi m’a dit : « Vous aimez souvent intimider avec votre long français-là : « tu connais mon niveau, tu connais mon niveau » (mon niveau de français), mais vous êtes incapables d’égaler Moïse Katumbi qui n’est pourtant pas professeur d’université ! » (M.Katumbi est un homme politique congolais qui s’est joint au « Front citoyen 2016 » qui regroupe la société civile, les mouvements citoyens et les opposants politiques).
Lubumbashi, le rayonnement du français congolais
Dans la ville de Lubumbashi c’est différent, le français rayonne grâce à plusieurs centres culturels : l’Institut Français et l’Alliance franco-congolaise. Des citoyens congolais et étrangers – bien que parfois d’un âge très avancé – s’y rendent pour apprendre la langue de Molière. Mais le principal symbole de cette langue reste l’Université de Lubumbashi et sa célèbre faculté des Lettres, en lien avec différentes écoles primaires et secondaires, ainsi qu’avec des cellules littéraires, sortes de prolongement de l’université. Avec cet état des lieux… normal que le français soit longtemps resté une langue cérébrale, littéraire, pour illuminés férus de grammaire, hélas ! Aujourd’hui l’accès à l’instruction s’est accru, le « français langue maternelle » a émergé, mais toujours avec des enfants nés de parents instruits. Le français reste malgré tout une langue de clercs, comme pendant la colonisation. Quel parent, même non instruit, ne se gonflerait pas d’orgueil à entendre son enfant faire éclater les mots de cette langue ? Car ici, on sait que le français n’a jamais cessé de créer de petits rois dans la société congolaise.
La pauvreté, la tombe de la langue française
Cependant, depuis les années 80, l’enseignement est devenu « une roue de secours » pour le camion Zaïre « zaïrianisé » (nationalisé), dont le moteur bien mal en point… Si on a le choix entre envoyer son enfant aux études ou l’envoyer dans une carrière de diamant, quand on vit à Mbuji-Mayi, dans le centre du pays, le choix est vite fait. Après tout, « Falancé tshi nflanga to’o » (traduisez : « le français n’est pas de l’argent ») dit-on à Mbuji-Mayi, la capitale diamantifère. L’argent gagné, c’est la priorité des priorités, parce-qu’il faut bien manger ! Voilà comment le français a cessé d’impressionner. Se donner tant de peine pour étudier une langue qui ne fait plus de rois comme c’était le cas avant – notamment pendant la colonisation – au fond à quoi cela sert – il ? Et pour ne pas trouver de l’emploi en plus ! Le contexte actuel donne donc le pouvoir aux non-instruits de se moquer de tous ceux qui les importunent avec le français. J’en ai vraiment fait l’expérience avec mon groupe de jeunes dans la commune Kenya !
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