Les jours où la langue de Molière est malmenée en RDC
La langue de Molière, le français est à l’honneur dans les écoles secondaires de la République démocratique du Congo ces 28 et 29 avril 2015. Voyons, honneur ou deuil ? Les deux peut-être à la fois.
Mal écrire peut tuer ! Mais qui pour comprendre ce verbiage d’un enseignant de français ? L’enseignant de français ne trouve que rarement d’amis parmi les élèves. Je vous laisse imaginer qui… Parfois affublé de sobriquets et de caricatures (j’en ai eu un jour), il a parfois le sentiment qu’il prêche dans le désert. Quand on le parle déjà, c’est suffisant pour plusieurs locataires du français. Comment sourire quand parler ou écrire ne vous renvoie pas à ce que les mots disent ?
En RDC, l’Etat se réserve le devoir de recaler l’élève moins performant en français. Il y a français aux épreuves préliminaires, français aux épreuves ordinaires des examens d’Etat. Les maths et la géographie s’étudient aussi en français.
Bête noire
Ne demandez donc pas qu’on vous écrire illico. Un ami, Alexandre Mulongo, rapporte (sur Facebook) une drôle d’histoire vécue ce mardi dans un centre d’examen où il s’est présenté comme surveillant.
« De jeunes filles tout sourire entrent dans la salle en se dandinant (…) cheveux défrisés et lèvres remplies de gloss. Leur dire que l’avenir est à la mode « nappy hair » serait prêcher dans le désert. (…) Les copies distribuées, la salle devient calme. Je surprends une jeune fille en train de parler. Je m’approche pour savoir ce qui se passe, elle me demande comment s’écrit « Agneau immolé », le nom de son école. Le choc est si violent que j’ai frôlé une commotion cérébrale. »
En 2008, aussi dans une salle, pour l’épreuve orale de français. Une élève n’a réussi à aucune question posée par les membres du jury que je présidais. Une dernière chance, un juré écrit au tableau : « Attention, ici un danger ! » Trouver le verbe dans cette phrase elliptique n’est certes pas facile. Mais dire au minimum qu’il n’y en a aucun est pardonnable. Notre récipiendaire choisit pour verbe : « danger ». Prête même à le conjuguer à l’indicatif présent.
Des cas marginaux ? Peut-être. Les bons rédacteurs parmi les élèves sont nombreux. Mais combien par classe ? Les plaintes de ceux qui ont le malheur de lire les demandes d’emploi et les concours d’embauche y compris les correcteurs de la dissertation ont du fil à retordre. « Trouver des jeunes gens et des jeunes filles qui écrivent sans faute et réfléchissent lucidement devient chose rare », fait constater un fonctionnaire de l’Etat.
« On ne donne que ce qu’on a. La génération d’aujourd’hui (6e secondaire, 2e licence) détermine déjà la génération de demain. Tu aurais dû l’aider afin que l’Agneau immolé ôte son ignorance scientifique » réagit, un internaute. Un autre accuse, lui, le langage SMS ou texto qui accentuerait la perte de l’orthographe. Des questions sérieuses méritent d’être posées sur le système éducatif congolais dans sa globalité : Etat, écoles, parents. Déjà en première année primaire certains programmes scolaires vont jusqu’à 18 cours. Même à l’université. Avoir des notions sur tout ou renforcer l’enseignement élémentaire, d’accord. Mais on sait aussi que « Qui trop embrasse mal, étreint » ! Des vraies questions méritent d’être posées, y compris sur la motivation des enseignants. Non pas que cela soit le lieu d’avoir honte, tort ou raison. L’orthographe touche à l’honneur et à la dignité, surtout quand elle souffre chez une personnalité publique ou un fonctionnaire. Les écrits restent, la parole s’envole. Pareil pour les fautes de grammaire. En France, on en fait une question de politique publique, et c’est avec raison. Torturer Jean-Baptiste Poquelin dans son repos ne nous réjouit pas.
Commentaires