Voyage dans le passé d’une pérestroïka au Congo-Zaïre

Article : Voyage dans le passé d’une pérestroïka au Congo-Zaïre
Crédit:
RDC
24 avril 2015

Voyage dans le passé d’une pérestroïka au Congo-Zaïre

A huit ans, je ne comprenais pas grand-chose, rien du tout à la politique. Mais je savais comme tous les gamins « nés zaïrois », qu’il y avait à côté du Tout-Puissant Dieu Notre Père qui est aux cieux, un Tout-Puissant Père de la nation zaïroise à Kinshasa. Nous pensions aussi que Jérusalem où Jésus entra triomphalement, Putu ou Poto (Europe) où se rendaient chaque année les missionnaires, tout comme Kinshasa le lieu qu’habitent les hauts politiques, étaient des communes du ciel.

Source: www.lephareonline.net
Source: www.lephareonline.net

Mieux que les missionnaires blancs qui vivaient parmi avec nous, Mobutu était un dieu invisible. Finement, comme Jésus représenté sur des photos, Mobutu, nous ne pouvions le voir que grâce à cette technologie. Il n’y avait pas de télévision chez nous. Pas non plus chez le voisin et dans tout le village. La télévision, c’est pour la ville même encore aujourd’hui. Lorsqu’il parlait à la radio, on nous demandait de nous taire, comme au confessionnal. Les adultes se penchaient sur la radio, puis ils se dispersaient sans mot dire. Pas de débat après que le chef a parlé. Le nom de Mobutu, on ne devait le citait « sans raison », comme l’est celui de Notre Père qui est aux cieux ! Dans notre imaginaire, Lui et Notre Père qui est aux cieux, ils étaient pareils ou du moins, des voisins les plus proches. Et, comme les anges eux aussi invisibles, les hauts politiques qui logeaient chez nos missionnaires n’arrivaient qu’accidentellement chez nous, ils n’entraient que chez les missionnaires. Certains avaient assimilé plus le français que leur première langue. Ils étaient eux, voisins ou cousins des anges.

Nous chantions et dansions avant les cours

Confusément, dans ma tête de gamin, je savais aussi que Mobutu était une fonction, un titre que n’occuperait pas n’importe qui, mais le brave. Un jour, j’allais devenir Mobutu, on se le disait allégrement. Il n’y avait rien de méchant, rien d’immoral, rien de scandaleux à cette illustration puérile à un être surhumain à qui nous rendions gloire comme dans un psautier, en commençant par un « invitatoire » chaque matin avant d’entrer en classe. Nous chantions et dansions avant d’étudier. On oubliait même de prier Dieu dans notre école conventionnée catholique.

« Nous les pionniers du Zaïre, nous chantons allégrement. Nous sommes fiers d’être zaïrois, nous sommes fiers d’être des militants. Des militants engagés dans la révolution, à l’image de notre guide. C’est la révolution zaïroise. Notre Timonier, notre … » ,j’ai oublié la suite de cet hymne à la gloire du Timonier que nous chantions après le sakayonsa[1]. Puis, les cours pouvaient commencer.

Pérestroïka, la tombe du patriotisme congolais

Je me rappelle aussi qu’un jour, à peine en quatrième année primaire, le maître s’amena en « habit des Blancs », en cravate ! Ce jour-là, il était si joyeux, si souriant qu’il n’avait pas enseigné. Il ne cessait de répéter « démocratie. » C’est le seul souvenir qui me reste de son charabia. Ça ne me disait rien, ça ne disait rien à quiconque est né « MPR » (comme stipulé par la Constitution de la République !). C’était fini le sakayonsa, fini l’hymne au Timonier, fini le salut au drapeau au rassemblement le matin. On pouvait prier Notre Père qui est aux cieux, simplement, puis étudier. Au début, quelque chose nous manqua, mais on s’habitua quand même. Je me rends compte aujourd’hui, que là sont restés l’âme de la nation, la citoyenneté et le patriotisme congolais. Au lieu de la laver, la purifier dans les larmes de la  » perestroïka  »  (Mobutu pleura) et de  » glasnost « , ce fut la course au port de la cravate, jusqu’à en donner à un chien ![2]

« Mobutu a pleuré » ! Ce fut un événement. Personne ne pouvait le croire parmi les gamins. Finalement, un des nôtres se rappela qu’il avait entendu dire qu’un jour Jésus lui aussi avait pleuré et que Notre Père qui est aux cieux, le voisin de Notre Père qui est à Kinshasa était triste de temps en temps à propos de son peuple. Aucune faillibilité alors à notre Idole. Hélas, il va fuir, il va souffrir, il va finir. Et au troisième jour, il restera sur une civière à Rabat. Seulement, on dirait que le « après moi le déluge » a commencé le 24 avril. La seule parole de Mobutu qui a les chances de ne pas passer. Enfin, jusqu’ici. J’ai vu tout cela et je n’avais plus huit ans. Mobutu n’est pas mort, ses anges non plus ! La « démon-cratie » n’a pas fort changé. La case de départ : le 24 avril ! Bonjour les vieux démons de la division et du fanatisme. Seulement aujourd’hui, personne ne pleure. Pas un semblant de sincérité. Pas de honte. 25 ans après, la démocratie est un mot fétiche, une coquille vide, un mot pour tout dire. Nous connaissons la démoncratie. Qui pour nous apprendre la « démocratie » ?

[1] Nom d’une danse à la gloire de Mobutu, imposée à tous les Zaïrois. Nous dansions à l’école tous les matins.

[2] A Lubumbashi, après le 24 avril 1990, un chien porte une cravate. Action des politiques adversaires, décidés de passer à l’attaque. Des attaques qui vont finir par des violences contre les Baluba du Kasaï.

Partagez

Commentaires

chantal
Répondre

Souvenirs-souvenirs, merci de nous faire partager cette belle réflexion. A l'époque il y avait de choses intéressantes bien qu'étant en dictature qui manque today.

Didier Makal
Répondre

Oui en effet. Vous avez raison chère Chantal. De belles choses, il y en avait aussi au Zaïre!

Guy Muyembe
Répondre

Hé oui!le "après moi le déluge" semble s’être accompli.

Benjamin Yobouet
Répondre

Beau récit, belle leçon d'histoire !

Didier Makal
Répondre

Merci beaucoup cher Benjamin!