RDC : la guerre d’images et le film « l’homme qui répare les femmes »
La guerre des images au cœur de l’interdiction de la diffusion du documentaire « L’homme qui répare les femmes. La colère d’Hypocrate », en RDC. Ce film nuit à l’image de l’armée, selon le ministre Mende. Les auteurs affirment ne rien inventer, Reporters sans frontièrs dénonce la censure.
Des spécialistes ! Le réalisateur Thierry Michel et la journaliste Collette Braeckman, auteurs de ce documentaire, sont connus du monde des médias, du cinéma et surtout des politiques pour leur intérêt pour le Congo. Ils n’en sont pas à leur premies conflit avec Kinshasa. Pour le documentaire au titre insinuant « Affaire Chebeya, un crime d’Etat ? », Thierry Michel était expulsé de RDC en 2012.
Controverse
Pour les autorités congolaises, le film «Lhomme qui répare les femmes », périphrase de Dr Mukwege, porte atteinte à l’honneur de l’armée. Il estime que certains propos ont été dénaturés dans la traduction du swahili au français. Mais pour ceux qui l’ont regardé, ce film rend hommage à ce médecin gynécologue, « témoin des atrocités commises sur les femmes et contre les femmes depuis 15 ans », comme il le dit lui-même dans l’annonce du film.
Ce film est avant tout une succession d’images fortes, enchevêtrées, qui finissent par donner des sensations de guerre. En interdisant sa diffusion, Kinshasa a confirmé cette guerre.
Dans sa réaction, le chirurgien Mukwege dénonce la censure. Il ne manque pas de soutien. Le chef de la mission de l’ONU en RDC est clair :
J’ai réitéré par téléphone toute ma solidarité et mon appui au Dr. @DenisMukwege pour son travail remarquable au service des femmes en #RDC
— Martin Kobler (@KoblerSrsg) 4 Septembre 2015
Le film « l’homme qui répare les femmes » et les images
La rhétorique du médecin est pleine d’images, sensibles. Déjà dans la bande annonce. Le corps de la femme est devenu un champ de bataille et le viol « une véritable arme de guerre, si pas même, une stratégie de guerre mais qui est beau marché. Mais redoutablement efficace. »
Mais pour les auteurs du film, l’image sert non pas seulement à rendre hommage, mais aussi à crier au monde, peut-être dans l’espoir de faire entendre ces cris qui remontent de Goma, de Minova, bref, de l’Est de RDC un jour décrété capitale mondiale du viol. Rende hommage est un acte d’engagement, en effet. Bref, des images partout…! Images qui prennent des sens divers. En voici quatre.
- La première est image des spécialistes du Congo. Peut-être sans l’avouer comme tel, les auteurs de ce film ont besoin de « faire autorité », s’affirmer comme des spécialistes de la RDC. Ils ont déjà cette réputation, chacun dans son domaine. Les critiques tendront à les diminuer, ce qui n’est pas facile de passer pour un spécialiste (professionnel?).
- Image d’une métropole, Bruxelles (Belgique) où se « trouvent ceux qui connaissent le Congo que quiconque. » Or les crises à répétition avec Bruxelles, certains ne veulent plus de cette image à Kinshasa.
- Image d’un pays rassasié de publicités négatives et atteint jusqu’à ses points sensibles et d’honneur comme l’armée et l’autorité politique. Mais qui n’est pas malgré tout sorti du lot.
- Image d’impunité : passez de répression des violences sexuelles.
« Dr Denis Mukwege, image de l’humanité congolaise »
Bravo docteur #Mukwege pour votre travail engagé. Vous êtes un example de l humanisme en #RDC
— Martin Kobler (@KoblerSrsg) 4 Septembre 2015
« Bravo docteur #Mukwege pour votre travail engagé. Vous êtes un exemple de l’humanisme en #RDC ». C’est ainsi que Martin Kobler qualifie qualifie Dr Mukwege.
Kinshasa n’aurait pas dû ! L’interdiction du film consacré à ce médecin sonne comme une guerre à son encontre, guerre commencée qui l’a déjà conduit en exil, après un assassinat raté. Auréolé de son prix Sakarov (2014), décidé de ne « pas rester les bras croisés », Mukwege est convaincu que ce n’est plus le temps de s’indigner, mais d’agir. Agir, c’est avant restaurer la dignité humaine.
« Leur corps blessé, leur cœur brisé et leurs esprits détruits avaient besoin d’être guéris, consolés et restaurés. »
Le film porte-t-il atteinte à l’honneur de l’armée congolaise?
Thierry Michel dit ne rien inventer. Il se sert des témoignages recueillis auprès des victimes et des rapports officiels de l’ONU. En 2013, par exemple, la Monusco dénonçait des violences sexuelles et d’autres graves encore dans l’est de la RDC (pdf). Les parties impliquées sont bien citées, des élements du M23 et de l’armée RDC.
Seulement, dans la bande annonce de ce film[1], le réalisateur n’utilise que les seules images de l’armée congolaise. Très facile de comprendre que les FARDC sont les seules concernées par ces violences regrettables. Aucune image du M23, des ADF, et même des FDLR que Colette Braerckman, pourtant, présente dans une émission de TV5 comme ayant amené la pratique du viol comme arme à destruction massive en RDC.
Sur base de ce traitement d’image, du montage de film (bande annonce), des récriminations sont possibles. Mais, est-ce que pour des séquences critiquables, il vaut la peine d’interdire tout un film ? Je crois que non. Kinshasa a intérêt dans ce dossier, à prouver qu’il améliore sa gouvernance et s’ouvre aux libertés. Il y gagnerait, si réellement il souffre des publicités négatives.
La technique de montage de la bande annonce
TEASER « L’homme qui répare les femmes – La colère d’Hippocrate » de Thierry Michel et Colette Braeckman
Dr Mukwege accueilli par des applaudissements, à son entrée dans une grande salle, passe à la tribune. « Témoin des atrocités commises contre les femmes et sur les femmes, depuis 15 ans », il prononce ces paroles :
« Dans les zones en conflits, poursuit-il, les batailles se passent sur les corps des femmes. Les viols se commettent avec extrême brutalité. Une véritable arme de guerre, si pas même, une stratégie de guerre mais qui est beau marché. Mais redoutablement efficace. »
- A partir de « une véritable arme de guerre… », dans ce discours, le film montre en panoramique, un paysage de désolation, presqu’enflammé. Une image presqu’apocalyptique. Apparaissent alors une camionnette de l’armée congolaise ; des militaires bien armés, en alerte.
- Dans le même discours, à partir de de la séquence « arme redoutablement efficace », est lancé un mortier. Des civils en fuite apparaissent en dessous de la trajectoire des tirs, et s’entend cette voix d’un « commandant ? » : « un peu en bas », comme pour atteindre ces civils. Enfin apparaît une colonne des déplacés de guerre… puis, retour au discours du médecin.
Sur base de ces images (bien sûr limitées mais pourtant mises en exergue!), les violences sexuelles semblent liées à l’armée.
[1] Sans doute, je n’ai pas regardé le filme dans son entièreté. Mais j’estime que la bande annonce (10 minutes) d’un sujet aussi important, se veut le miroir de l’œuvre ; et donc, soignée.
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