Huée pour n’avoir pas pleuré à son mariage
On pleure de douleur ou de joie. Ce n’est pas nouveau. Mais on pleure aussi à la demande, non pas comme les pleureuses africaines savent surprendre les étrangers. Non. Mais pleurer quand quelqu’un le demande, devant des yeux assoiffés de larmes. A un mariage, par exemple. On s’en fout que cela soit du chiqué.
C’est l’histoire d’une jeune femme que son père donne en mariage. Solange doit quitter Kalamb, un village perdu dans le territoire de Kapanga, dans le Lualaba, au sud de la République démocratique du Congo. A 16 heures, la cérémonie s’accélère. Le village accourt où la charmante Solange est sur le point de partir pour fonder son foyer, à Chitazu, à quelques 30 kilomètres de là.
Les amis de l’époux, que l’on connaît mal d’ailleurs, dansent, presque endiablés au rythme des variétés musicales bien aimées de Kinshasa. On a oublié le tam-tam. L’ère moderne souffle un peu partout non ? Mais les jeunes gens ne pouvant se faire la critique de n’avoir pas réussi à convaincre le cœur d’une si jolie fille qui s’en va ailleurs ont presque boycotté l’événement.
Mariage sans salle de fête, sans gâteau
Le plus simple du monde, ce mariage, vu de Lubumbashi ! Sans salle de fête, sans gâteau de mariage, sans invitations imprimées, mais tout le monde y est le bienvenu en ce mois de septembre 2008.
A 16h30, il est plus que tard. Les mariés doivent se mettre en route vers Chitazu. Ils n’ont que le vélo pour aller plus vite que le coucher du soleil. La mariée doit arriver chez elle et être vue de tous, à la lumière du jour… Chaque mariage est sans doute une occasion pour dire à ses proches combien on a su se contenir. Mais aussi, quand c’est une jolie qu’on amène à domicile, il faut que le monde le sache et le voit de ses propres yeux. Hein !
Cinq minutes plus tard, la mariée arrive non pas de la porte sur laquelle restent fixés tous les yeux. La charmante Solange descend de l’arrière d’un vélo, couverte des cheveux aux pieds.
Pas de trône pour les mariés, mais une natte
La cérémonie finale de mariage commence. Sans gâteau, sans champagne, sans pétales de roses. Tout a pourtant l’air génial et solennel. Silence. Tous les yeux sont fixés sur les mariés, assis sur une natte, jambes allongées en avant. Certains ont même des yeux derrière leurs têtes : deux pour admirer la danse, et surtout deux ou trois de plus pour voir des larmes. La mariée, ça doit pleurer. C’est une loi que certaines femmes veulent immuable.
Mais sur les joues pétillantes de fraicheur de Solange, aucune larme à se mettre sous la dent (l’œil !). Bientôt finit la cérémonie de mariage selon la coutume des Aruund (les Lunda), peuple du Lualaba, établi notamment dans le Kapanga.
« Pleure, Solange, pleure même un peu ! »
Finis les conseils aux mariés. Le maître de la cérémonie, le père de Solange, bourré comme une abeille, a pris un gobelet rempli de vin de palme. Il le vide d’un trait au lieu de retenir. Il devait prendre juste une gorgée à rependre sur les mains des mariés en signe de bénédiction. L’assistance se délectera au moins de l’insolite, mais pas de larmes. Solange est livrée à son époux, à la reprise de la cérémonie.
C’est alors que monte, au lieu d’applaudissements censés accompagner les mariés, des appels pressants à la mariée. « Pleure, Solange, pleure même un peu ! » insistent-ils. Mais la brave n’a rien à leur mettre offrir. La pauvre ! Elle force des clignements répétés de ses yeux assaillis de regards des juges. Pas de larmes. Puis, montée sur le vélo, tout neuf (un luxe, faut-il noter), elle file. L’assistance est déçue et la hue fortement. Ce n’est pas non plus nouveau ça. C’est le sort connu de femme qui ne coule de larmes à son mariage.
On pense que, la mariée qui ne pleure pas…
La question m’intéresse. J’en profite, plus tard, pour demander à ma mère si elle aussi, le jour où mon père la prenait, elle avait pleuré. Comprenez déjà que dans ce pays, les femmes vont vivre sans les familles de leurs époux. Presque toujours ! Ma mère rigole. Elle me dit que ce sont des traditions informelles, auxquelles tiennent plusieurs personnes. Que de plus en plus, elles paraissent ridicules pour des jeunes comme nous.
On pense que la mariée qui ne pleure pas à son mariage est heureuse et pressée de partir, de quitter ses parents. Où elle va, elle pourrait être maltraitée, parce que connue comme portant moins d’affection pour sa famille qu’elle n’osera pas rejoindre. Celles qui pleurent, on les croit prêtes à retourner chez leurs parents au moindre problème. Et on les gâte… Folle interprétation d’une culture informelle.
Se marier serait-il malheureux pour se mettre à pleurer ? Depuis, lorsque les gens pleurent, je me demande toujours ce qui se passe. Je regarde dans leurs yeux, je cherche le moindre signe qui me dise qu’ils mentent ou ont réellement mal. Cela est distrayant, et ennuyeux en même temps, je vous l’avoue.
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