Didier Makal

Notre parler français anglo-swahilisé de Lubumbashi

Afin que vous ne vous perdiez point

« On ne sait jamais », comme on le dit sans cesse chez moi à Lubumbashi, grande ville la plus septentrionale du Congo (RDC). Savez-vous que nos voisins immédiats sont Zambiens, et qu’ils parlent swahili (tout comme le Kibemba d’ailleurs) ? Mais ceci n’impressionne guère, ce sont des langues que nous partageons, en plus de nos mariages, des champs communs aux frontières et diverses habitudes culturelles. Nous avons cela en commun.

Mais ce qui impressionne le plus, c’est que nos cousins disent « I am » quand chez nous on est dans le « Je suis ». Pour faire simple : ils sont anglophones et cela est loin d’être ringard chez nous. Nous, on est francophone et je n’en rougis jamais. Au contraire. Sauf que dans cette ville des plus francophiles du Congo, Lubumbashi, on a parfois moins les yeux tournés vers la capitale Kinshasa que vers l’Afrique australe, avec pour toute identité le « I am ».

L’Anglais, ça fait plus actuel à Lubumbashi

L’Anglais, en effet, sonne plus neuf, moins vieux que le français bien qu’elle soit toujours la langue des flâneurs, au positif. Ces gens qui ont fait de longue études et qui veulent parfois par leur « vous avez » et leur « je suis », montrer leur élitisme. Mais l’anglais lui, quand on le balance dans notre français, ça fait plus actuel, plus connecté… mais je ne blâme pas cela, au contraire!

Le Français au Congo doit être châtié, avec fierté. Beaucoup même. Car il a valu à nos aïeux la chicotte, et ce n’est pas si éloigné de nous. A nous à qui il a valu des fouets pour conjuguer des verbes au subjonctif, sous des formes du genre « Que nous mangeassions », … ou encore : « il eût fallu qu’il vinsse » ! Allez, stoppons cette flânerie, et revenons donc à Lubumbashi, cette ville qui se rêve de plus en plus en Anglais et en swahili.

Un parler métissé

Vous vous perdriez, sans doute, à espérer trouver un parler puriste dans cette ville qui a vu fleurir de grands écrivains comme Valentin Mudimbe, Georges Ngal ou Julien Kilanga. Dommage pour vous. Notre parler français de Lubumbashi est séduisant. Il faut voir frimer jeunes et vieux, moins lettrés et moins favorisés, avec leurs langages drôlement et joliment métissés.

« Un truck est entré en collision avec une voiture »… annonce une journaliste dans un bulletin d’information sur une radio locale. J’esquisse un sourire. Truck, c’est de l’anglais. En français, si on est têtu, on dirait « camion ». Mais qu’importe!

Un soir, alors que je me mets à lire mes mails, je tombe sur cette « urgence » qui m’invite à confirmer ma participation à la « Global week ». Yes! Ça y est non ? Voilà qui me retient un instant, réfléchissant sur ces mots qui inondent de plus en plus notre parler français. Couramment on dit « je prends un booking », pour dire qu’un taxi m’emmène à… ! C’est joli non ?

Et le Swahili dans notre Français, mais c’est croustillant !

J’en reviens au constat final que ce n’est pas le swahili qui a laissé la langue de Molière faire son bon nombre de chemin. « Allons manger le bukari » … m’invite madame qui vient de dresser la table. Le bukari, c’est le fufu (foufou), la pâte faite à base de farine de maïs ou de manioc (ou les deux ensemble). Elle est mangée accompagnée de presque tous les mets: viandes, poissons, légumes, etc.

Jeudi, alors qu’il nous entretenait sur le début des examens du premier semestre, un doyen de faculté, à l’université, m’a égayé en lançant à un chercheur une incise dans une phrase correctement construite en français : « mwe na mweye! » Traduisez : vous aussi! L’assistance a applaudi la beauté stylistique.

Tropicaliser le Français

Je suis longtemps resté à réfléchir sur ces explosions africaines congolaises qui font notre parler français. Un français dans lequel se perdrait un peu, mais pas sérieusement (n’exagérons pas non plus) un non-initié… des sonorités africaines en français, pour exprimer des choses indicibles en français. C’est ce que montre le Congolais Soni Labou Tansi, porte-voix de la tropicalisation du Français.

Alors j’entends dire, et c’est un parlé swahilisé : « Il est mort (de) la mort » (anakufwa lufu), pour dire mourir d’une mort simplement naturelle. Traduction du swahili « kufwa lufu », pour « mourir la mort », expression déjà décortiquée par l’écrivain Labou Tansi. Pour le reste, on verra ça une autre fois.


Nous voulons plus de passions, plus de rêves dans les médias en RDC

En République démocratique du Congo, RDC, les gens aiment la télévision et les passions qu’elle charrie. D’autres, en revanche, s’en détournent parce qu’ils n’y en trouvent pas le contenu qu’ils cherchent. Ils vont alors les chercher dans les télévisions étrangères, cryptées.

Voilà qui ouvre une voie presqu’inexorable aux puissantes et irrésistibles industries audiovisuelles étrangères. Cette entrée en RDC, en effet, date déjà des années de l’indépendance où après la radio, la télévision étrangère concurrence impitoyablement la précaire (à tous points de vue) télévision locale.

Les gens désaffectionnent davantage les télévisions congolaises

Bien plus, depuis que les nouveaux dirigeants ont fait en sorte d’être présentés comme des dieux adorés sur les télévisions nationales africaines, on assiste à une désaffection accélérée des publics congolais pour leur audiovisuel. La télévision est un média qui charrie beaucoup de passions et d’émotions. Elle affole, en réalité, à Lubumbashi où je vis.

La course aux passions, en effet, atteint un seuil tellement puissant que l’on ne veut plus réfléchir, ni à Kinshasa, ni à Lubumbashi, ni dans les autres villes. Un homme vient de s’ouvrir accidentellement le mollet devant les limites d’une parcelle au centre de cette dernière ville. Les gens retiennent le malade, plutôt que de courir avec lui à un hôpital situé à 150m du lieu où ils se trouvent. Ils appellent instentanément la télévision où je travaille. Cela doit être vu à la télévision. Il faut dénoncer, surtout, le maître imprudent qui s’est mis en danger. Je ne suis jamais allé couvrir l’événement, me contentant de les appeler à sauver une vie.

Un téléviseur, ça fait plus actuel

Un téléviseur, cela reste encore un de ces attributs du bien-être social que l’on voudrait montrer à tous. Dans les salons des maisons dans ma ville, les écrans LCD, de plus en plus souvent connectés à Canal +, sont nos enfants cadets. Gâtés donc. On les essuie, on les couvre, on les dorlote, on les chérit parfois au même titre que les gamins des foyers.

Les télévisions locales, en RDC, l’ont bien compris : elles perdent de l’audience à mesure que croît la désaffection populaire, et que pénètrent les grands diffuseurs étrangers. Le français Canal + et le chinois Startimes rivalisent de stratégies d’attractions pour attirer de nouveaux utilisateurs. Ils morcellent les bouquets de façon à les rendre accessibles, à moindre coût.

On veut, en effet, plus d’amour, plus de rêve, plus de passion. Des histoires pour curer des âmes déjà peinées majoritairement par la pauvreté, les violences diverses et le chômage. Rêver devant son téléviseur, alors adossé sur un canapé presque monarchique, a des pouvoirs cathartiques. On se convainc que demain, ça ira, avec l’aide de Dieu – auquel on croit toujours, chez les congolais.

Les films et les séries attirent encore plus que les JT

C’est pourquoi les films nigérians, très empreints de superstitions, mélangeant prophéties et sorcelleries, ont plein de succès. C’est aussi parce que le « bolingo » (amour, en Lingala) tant chanté dans la rumba congolaise n’attire plus, n’arrive plus à transporter les gens. Et voilà alors pourquoi la télévision la plus en vogue à Lubumbashi, c’est Novelas, la solution pour plein de rêves. Depuis  l’intronisation de cette dernière, tous les médias congolais courent après émotions et passions, se sachant d’office perdants face à la concurrence étrangère. Il faut faire comme Novelas, même sans les moyens de cette chaîne cryptée. Même dans les JT (journaux télévisés), l’information n’est plus mise en perspective.

En revanche, des télévisions brillantes, diffuseuses d’informations à peu près à l’image des leurs plateaux d’incrustation, bling-bling, rêvent de faire « comme France 24 ». Une d’elles se targue même d’être « Hollywood » et excelle alors dans les films et séries, généralement piratés. Les autres contenus, par ailleurs, restent insipides. Autour des ministres, par exemple, même appelés à des conférences, des journalistes montrent des foules arborant des drapeaux. Ils préfèrent proposer des séquences du genre « je déclare ouverte la conférence », au lieu d’offrir le contenu de leurs exposés.


L’homme qui ne voulait pas avoir de problèmes

Il ne voulait plus du monde. Moto voulait fuir l’homme. Un peu comme les ermites, mais pas exactement. Puisque, dans son passé de moins en moins connu du monde, l’homme avait aimé, beaucoup même, un peu comme le Christ. Mais il ne finirait pas comme lui. Ses yeux en avaient vu assez et au final, il ne reverrait plus personne, ne se rendrait plus chez personne. Les gens sont sources de problème, avait-il fini par se convaincre.

Moto a vu tomber des puissants, pour avoir fait confiance… il compte des trahisons, des amis, des femmes, des voisins. Il connaît des couples disloqués par des rumeurs, des fausses accusations. Dans sa jeunesse extravertie et humaniste, il en a vu pire encore. Des morts, des suicidés, des inconsolables comme lui. Mais de son histoire, il ne parle jamais.

Seul pour vivre sans problèmes

Voilà ce qu’il a raconté à quelques rares personnes à qui il s’est risqué d’avouer ses raisons de solitarité. Depuis naguère, cela ne sert plus à rien de l’imaginer seul et endurci, dans un environnement où même les moins coquins de tous se marient. Moto ne sortait ni pour regarder un match de football, pour une fête de mariage ou une visite à quiconque.

Chaque jour, Moto était courbé, interrogeant ses fils, tissant ses nattes. Il ne recevait plus que ses clients et tout discours se résumait en « bonjour », le prix des nattes, « merci », après avoir reçu son dû. Puis, « au revoir ». Jusque-là, sa réputation était restée inchangée. Aucun problème n’avait frappé à sa porte.

Mais là c’était avant cet après-midi qui signa des marques indélébiles son cœur des plus naufragés du siècle.

Solitude, problèmes
Solitude. Commons / Max Pixel
Les problèmes vont à l’ermite solitaire

Le ciel se chargeait de nuages pluvieux. Le vent soufflait inlassablement. Haletante, arrive une jeune femme du quartier. Elle supplie Moto de coucher son bébé près de lui sur une natte pendant qu’elle descendrait puiser de l’eau à la source située à quelques cinq minutes de là.

Le bon monsieur avait beau porter des blessures béantes et réputées « incurées » et incurables. Mais le pathos naturel que l’on appelle parfois « le bien », ne l’avait pas quitté. Pas du tout. Sans lever ses yeux, il acquiesça. Toujours à incliné sous l’ombre d’un manguier devenue son unique complice.

La bonne dame revint des instants après, air pressée. Moto n’avait pas bougé d’un seul iota. Pas non plus le plan d’inclinaison de sa tête chenue. Tisser ses nattes avait fini par devenir un office religieux, une espèce d’état cathartique qu’un passe-temps ou une quelconque activité commerciale. C’était sa femme, ses enfants, tout ce qu’il avait de valeureux dans sa vie.

Vous pourriez aimer ceci : Huée pour n’avoir pas pleuré à son mariage

Moto accusé d’infanticide

Aussitôt qu’elle reprit l’enfant, la jeune dame lui hurla imprécations et injures. Elle accusait Moto d’avoir tué son enfant. Eberlué, l’homme qui ne voulait pas de problème en avait un en ce moment-là. Il crut d’abord à une sale blague. Mais blague, après tout, ce n’était pas avec lui que la première venue oserait. Sans le chercher, le problème était arrivé jusqu’à lui. Moto était dans de beaux draps.

Je crois que c’est toujours un compte, cette histoire que vous venez de lire, sous ma sauce Kapangaise. Mais mon grand-père, puis ma mère, me l’ont contée maintes fois. A chaque fois ils m’invitaient à ne pas voir partout les problèmes et ainsi vivre dans un délire de persécutions. Il faut savoir positiver certaines situations, même désagréables. Mais surtout, ils m’ont conté cette histoire contée sous des versions multiples en RDC, je crois bien, pour dire qu’il faut ouvrir l’œil, porter d’autres derrière sa tête pour ne pas regretter sa vie. Moto le tisserand l’avait appris à son dépend. Bientôt, il allait peut-être se rouvrir à l’humanité.