Didier Makal

En RDC, il faut apprendre à compter le temps…

Le temps. Si c’était de l’argent, vraiment, la RDC aurait beaucoup perdu encore… Et encore ! Puisque le temps passe, comme toujours, sans que l’on s’en aperçoive, sans que l’on s’aperçoive de son inexorable course.

Quelqu’un dirait, bien dormeur : ça ne fait que 60 ans que la RDC est indépendante ! La France, les États-Unis, la Chine… se construisent et se sont construits à travers des siècles.

Passer des années, mais à faire quoi?

On aurait ainsi souhaité passer du temps, plus de temps, avec espoir qu’il arrange les choses. Que, du coup, à force de passer des années à attendre, on devienne une démocratie, que nos  universités brillent parce qu’ayant accumulé de l’ancienneté. Ou encore, que nos villes s’urbanisent, notre peuple s’enrichisse, parce que des années sont passées.

En réalité, cet attentisme, non, cette croyance naïve et trop passive cache mal une grave incapacité à prendre la juste mesure du temps qui passe. Puisqu’après tout, passer plus d’années, pour quoi faire et en train de faire quoi précisément ?

Passer à plus de maturité à plus de maturation

59-60 ans, c’est l’âge de maturité, sur le plan socio-psychologique. C’est ainsi connu. Un homme de cet âge est assez vieux pour mourir, au Congo. Toujours dans la métaphore humaine, à cet âge, on est supposé être sage. Ou, pour le moins, assez expérimenté pour réagir promptement à certaines situations. C’est la faim, la maladie, les intempéries, la guerre, l’adversité et la mort, par exemple !

Or, sur ces dernières situations, au Congo, il semble bien que les derniers 59 ans ont été manqués. Du temps manqué, des rendez-vous manqués. Les raisons sont certes multiples. Oui, toutes ne dépendent pas des Congolais seuls. Mais n’est-ce pas inutile et irresponsable de toujours rejeter la faute sur autrui, quand il faut évaluer son action ?

Le temps du Congolais lambda : plus sécurité, tous azimuts!

Ce n’est pas exagéré, par exemple, de constater que les meilleurs hôpitaux pour les dirigeants congolais sont à l’étranger : en Europe ou en Afrique du Sud. Même des farouches défenseurs de la souveraineté congolaise !

Malgré des millions de morts dus aux conflits de tout genre, toujours violents à la fin, le Congo reproduit presque toujours les mêmes actes qui ont produit les mêmes conséquences. Perdurent ainsi : exclusion, tribalisme, clanisme, corruption, haine, ruse et mensonge…

A la fin, il faut apprendre, réapprendre à compter le temps. Cela permettra aux Congolais de rester, sinon d’entrer dans le temps. Le temps mondial, universel. Le temps global, aussi vécu par tout Congolais : le temps des citoyens lambdas, le temps qui porte les mandats électifs des politiciens, le temps des souffrants de la faim, des déplacés des guerres et des réfugiés. Il faut bien le compter : le temps de vivre, de jouir, de fonder une nation plutôt qu’un agrégat de tribus qui cherchent à triompher sur les autres. Le temps du changement, le temps de tous. Va-t-il enfin venir ?


Je suis allé voir le président Tshisekedi, je n’avais pas de veste

Le président Félix Tshisekedi est arrivé à Lubumbashi vendredi 12 avril. Première visite d’un nouveau président, promis à une alternance tous azimuts dans la capitale mondiale du cuivre et du cobalt. Mais où beaucoup de gens, moi y compris, ne savent pas en réalité à quoi servent ces minerais. Pour le Congolais ordinaire, précisez bien.

Le samedi, soit un jour après l’arrivée du président Tshisekedi, je suis dans une équipe des leaders de la société civile. Ils vont demander au chef de l’État que cessent impunité, corruption et insécurité qui mettent à genoux et l’économie de la région, et la paix sociale. Puisque ces derniers temps, à Lubumbashi, on ne parle que d’une chose qui écœure encore plus qu’à son apparition en 2016 : les vols massifs avec viols et tueries.

En attendant d’être reçu par le président Tshisekedi

A 13h TU. Le président devait donc nous recevoir. Allons-y donc vite vite.

Pour dire changement à un président promis au changement, je suis quand même dans la délégation et bien dans ma peau ! J’y suis, en plus, le plus jeune, avec une dizaine des aînés quinquagénaires. J’ai un bloc-note, un smartphone et un stylo. Réflexe journalistique!

C’est l’heure. Nous nous approchons du bureau où le président reçoit, au gouvernorat du Haut-Katanga.

« Toi, tu viens voir le chef de l’État en chemise ? » m’apostrophe un aîné. Puis un autre renchérit : « on ne te laissera pas entrer comme ça. »

Sans chemise, parmi les gens en veste…

Je suis en effet, le seul de l’équipe sans veste au dessus. Parmi les hommes, faut-il préciser. Puisque deux femmes n’en n’ont pas. Elles sont en libaya, une sorte de blouse en pagne, devenu par une incompréhensible alchimie symbole de féminité africaine.

Mais… bon, mais laissons le pagne ! Revenons à ma chemise. Je ne suis pas quand même sans habits. Ma chemise, bien repassée et bien blanche, n’est pas mal non plus. Je ne peux pas m’admettre mal vêtu ni dévêtu d’ailleurs.

Finalement, comment se présenter devant le président ?

Je ne réponds pas à mes aînés. Mais leur reproche entame ma confiance en moi. On a beau être opiniâtre, devant les coutumes, on finit par avoir tort et se révéler ridicule. Même si ce sont ces coutumes qui le sont plus que les opiniâtres.

En effet, dès l’instant avant de sortir de ma maison, j’ai décidé de ne pas porter de veste. Oui, c’est fou non ? Pourquoi voir son excellence monsieur le président de la République en chemise ? N’est-ce pas un manque de considération, me dirait un “mouvancier” lambda ou simplement un sacré conformiste. Mais, en réalité, pourquoi on ne verrait pas son président en portant simplement et bonnement une chemise, et même en t-shirt ? Et pourquoi pas même “dévêtu” ? Ce n’est pas exagéré. Est-ce pour dire qu’il faut être chic, présentable pour voir son président ? C’est-à-dire privilégier la forme plutôt que le fond ? Est-ce à dire que le président ne l’est que pour ceux qui font bonne impression ? Que les mal-fringués n’ont pas le droit à le voir ? Et s’Ils sont incapables de se payer de fringues bling-bling, c’est de leur faute ? Alors qu’ils ont élu président, députés et sénateurs pour être mieux ?

Non, assez trop bien habillés, Congolais !

Non. Je refuse de jouer le jeu (oh, lourdeur !) des flatteurs. Oui, c’est trop flatteur et même hypocrite ce penchant congolais à faire bonne impression. Je refuse. Si un jour le président accepte de me recevoir, où que ce soit, je serai en chemise. Peut être même en t-shirt. S’il refuse, j’irai regarder un film. Bref, je souhaite que dans mon pays, la RDC, qui a déjà assez d’urgences, on se penche sur les vrais problèmes. Mieux ou mal se vêtir ce n’est pas ça qui développe ou sous-développe notre pays. Il faut savoir écouter ce que les gens vous disent plutôt que comment ils sont habillés. Je ne crois pas que cela soit vraiment un ordre du président que seuls les mieux chics le voient. C’est l’oeuvre du conformisme ridicule congolais.

Pour tout vous dire, nous n’avons même pas été reçus. Le protocole attendait des musiciens, à l’heure. On n’était pas enregistrés.

Je suis plus souplement reparti, sans veste sur moi, que mes chers aînés très “endimanchés” comme on le dit à Lubumbashi.


Les Gilets jaunes français vus du Congo

J’ai vu, j’ai entendu parler les Gilets jaunes. A la télévision, bien entendu. Je les ai regardés avec étonnement. Je suis chaque fois sans mots, lorsqu’ils paraissent sur la place publique, en France.

Samedi encore, ils étaient là. « Pourquoi manifestent-ils? Que demandent-ils? » me demandait une amie. « Ils protestent, au départ, contre la hausse de prix de carburant. Depuis quelques temps, ils réclament encore plus…» ai-je répondu. Et « le président Macron ne cède pas? » « Tiens donc ! Même en France, le gouvernement fait pareil? » se surprend l’amie.

En France aussi ?

Là je me suis réveillé. Redressé dans mon fauteuil, je commençais à prendre les questions de mon amie très au sérieux. Oui, car je me pose la même question depuis que je regarde les protestants. Les Gilets jaunes à Paris.

Le jour où ces manifestations m’ont captivé, les Gilets jaunes étaient sur les Champs-Elysées. Ce jour-là, la France me surprenait à deux titres. D’abord, l’idée que les manifestants dérapent ou cassent même si cela n’a pas été prévu au départ. Et que les pouvoirs publics recourent à la langue de bois, les criminalisent ou les présentent comme insensés.

Mais aussi le niveau de brutalité de la police. « Vraiment comme on le vit parfois en Afrique, particulièrement au Congo-Zaïre », s’exclamait une autre camarade avec qui je travaille. Les Gilets jaunes occupaient les Champs-Elysées alors pour la première fois. Nous regardions la scène, en direct des Champs-Elysées sur une télévision française. Elle avait stoppé tous ses programmes en faveur du direct qui avait pris plusieurs heures.

Des violences policières seraient-elles universelles ?

Je me rappelle avoir vu un policier se déchaîner sur un manifestant qui n’avait pour armes que son gilet jaune, sa grande gueule et sa présence soutenue par d’autres, sans doute, plus dérangeantes. « Je n’imaginais pas l’Etat français, et sa police, capables de pareille violences », me suis-je dit.

Attention, procéder par des généralisations, « l’Etat français », « la police », est bien malheureux dans pareils cas. Mais les médias nous habituent à ça, que les débordements aient lieu ici (Afrique) ou là-bas (Europe). Assumons donc ici !

La scène était surréaliste. Mais je pouvais la comprendre. Sur les Champs-Elysées, ou place de la Bastille, les manifestants s’en sont pris à des symboles du pouvoir. Et Paris en prenait un coup, en termes d’image. C’est difficile d’imaginer que la police, ni Macron quelque extrêmement démocratique qu’on puisse l’imaginer, ne pouvaient laisser faire. Ça, on comprend. Mais la police n’avait-elle que la brutalité, parfois l’inutile violence pour gérer la situation ?

Ici, la police maintient de l’ordre avec des armes létales

Je me suis alors mis à penser à l’image que nous avons et contribuons à faire circuler de notre police congolaise, ou ailleurs chez des présidents fondateurs. Je l’avoue négative, globalement. Peut-être que nous sommes trop durs envers nous-mêmes. Peut-être que c’est propre à des policiers de prendre pour cible des manifestants… Même si cette police s’est montrée capable d’attitude vraiment protectrice et neutre, nous la critiquons. C’est peut-être aussi parce qu’elle se montre plus au service du pouvoir que de la population. Mais là, en France, le rapprochement devient parfois possible entre les deux polices du monde…

Peut-être que les deux, polices d’ici et de là-bas, ont en eux des explications sociologiques qui les opposent, et que je ne saisis pas jusqu’ici. A la seule différence, peut-être, au Congo, que la police va mettre de l’ordre avec des armes létales et dégainent très facilement sur des civils désarmés.

Mais quand je pense à ce policier français attaquant un Gilet jaune sans gêne, je me dis que s’il avait une kalache au point, il zigouillerait lui aussi ses compatriotes. Comme cela a lieu souvent ici. Ce que j’ai vu de peut être positif, enfin, c’est se sachant filmés, les flics n’ont pas attaqué les équipes de reportage qui annonçaient au monde ces scènes surprenantes.