Didier Makal

Chut! RDC, Ebola n’est pas mort : plus de singe alors dans vos plats!

Voulez-vous vivre ? Ebola passé, plus de singe dans vos plats désormais ! Sauf changement, ce 15 novembre, Ebola 2014 sera déclaré fini en République démocratique du Congo.  » Ebola 2014  » ? Oui en effet ! C’est par édition. Là, c’est la 7e qui s’achève. Et comme chaque fois, la panique, des morts puis le calme… et on revient encore à ses singes et chauves-souris ! On dirait qu’on ne se fatigue pas du tout de mourir et de voir surgir cette maladie. Pas assez d’efforts, de toute évidence !

Le temps d’agir

Des employés de l’OMS s’apprêtant à entrer dans un l’hôpital. Photo AFP
Des employés de l’OMS s’apprêtant à entrer dans un l’hôpital. Photo AFP

A propos de mon billet « Chacun pour soi Ebola pour tous moins l’Afrique » dans lequel je dénonce l’inaction de l’Union africaine, Daniele Castaigne un lecteur occidental me faisait ces observations à mon avis amicales :

« Ebola est transmis par les singes, qui eux-mêmes le tiennent des chauves-souris, pourquoi ne pas commencer par faire comprendre aux Africains qu’ils ne doivent pas ni commercialiser ni manger du singe. Il semblerait que l’on trouve encore sur les étals en Afrique des singes morts ouverts comme des carcasses de moutons, pauvres petites bêtes. Ne suffit-il pas des poulets, des moutons et des porcs ?

C’est bien sûr le travail des gouvernants d’interdire et de contrôler ce massacre d’animaux, mais c’est aussi la responsabilité de chaque Africain, de ne plus en consommer et de rejeter les chasseurs et vendeurs de singes. Ebola est une bonne leçon pour les Africains comme la vache folle le fut pour nous, à qui nous donnions à manger des carcasses de bœufs en poudre à des végétariens !

La nature est intelligente et elle trouvera toujours des ressources pour se défendre, mais les hommes têtus et orgueilleux s’imaginent pouvoir la dompter, il suffit de regarder les cataclysmes pour vérifier que la terre est plus forte que nous.

On ne peut arrêter ni un cyclone, ni un tsunami, ni un tremblement de terre, ni une éruption volcanique. Les épidémies cesseront quand les hommes changeront de niveau de conscience. »

Un agent de santé. Image d'origine: AFP
Un agent de santé. Image d’origine: AFP

Plus de singe dans vos plats

Le singe et la chauve-souris sont réellement consommés dans plusieurs contrées de la RDC. Le singe par exemple, est fort apprécié et facile à trouve dans presque toutes les forêts. C’est une longue pratique qui reste, pas du tout facile à changer. Mais rassurez-vous, les conséquences corrigent mieux que les conseils. A Boende, la leçon pourrait bien vite passer. Mais lorsqu’il s’agit des habitudes, il faut de nouvelles stratégies. Que chaque fois, après un temps, réapparaisse cette maladie, il y a de quoi s’interroger sur la sensibilisation que réalise à ce propos le pouvoir public, une fois l’épidémie passée.

Pourquoi ne pas carrément interdire la consommation de singe, comme le suggère ci-haut Daniele Castaigne ? Les milieux ruraux sont concernés par cette consommation des primates et même des chauves-souris. La responsabilité de l’Etat en même temps que pour les citoyens eux-mêmes qui doivent s’assumer, c’est d’arriver à admettre que ces cousins, les primates, refusent qu’ils soient consommés par nous. C’est un peu comme cette vache européenne à qui on a donné de la vache pour se nourrir ! Elle en était folle et la panique était grande ! Mon propos n’est pas ici que les primates soient devenus humains. Loin de là. Mais ils s’en rapprochent profondément.

Ebola reste non ébranlé

La 7e crise d’Ebola, depuis 1976 en RDC, avec une ampleur sans précédent en 2014 sur le continent et dans le monde, fait redouter une crise plus grande encore à venir. Pendant ce temps, le monde n’a pas toujours trouvé des soins curatifs contre cette maladie qui vient de tuer 5 000 personnes et en a infecté plus de 12 000.

Cette maladie n’arrête pas de galoper, en effet. Les deux dernières éditions, quoique moins létales que celles de 1976, 1995 et 2007 marquent une évolution de la maladie. Les chiffres provisoires donnent 43 morts sur 71 cas suspects pour 2014,  soit environ 61 % de létalité.

Tableau: chronologie des précédentes flambées de maladie à virus Ebola

Année Pays Sous-type du virus Nombre de cas Nombre de décès Taux de létalité
2012 RDC Ebola Bundibugyo 57 29 51%
2008 RDC Ebola Zaïre 32 14 44%
2007 RDC Ebola Zaïre 264 187 71%
1995 RDC Ebola Zaïre 315 254 81%
1977 RDC Ebola Zaïre 1 1 100%
1976 RDC Ebola Zaïre 318 280 88%

 Source: OMS.


« Nous mourons comme des chèvres »

Lubumbashi vient de célébrer pour la première fois, la journée des anciens combattants le 11 novembre dernier. Une dizaine, les militaires retraités se sont inclinés sur les tombes de leurs frères d’armes qui s’en sont allés. Cette sobre célébration a eu la particularité de faire découvrir les conditions de vie assez difficiles que vivent ces gens qui ont servi sous le drapeau. Surtout, ont participé à la seconde guerre mondiale. Cela ne donne pas droit à grand-chose, on dirait.

Mardi 11 novembre, la division provinciale des anciens combattants au Katanga a le loisir d’organisé un événement peu suivi en l’honneur des retraités. Une première dans cette province qui protège tant bien que mal la mémoire de deux guerres mondiales auxquelles des congolais ont participé pour le compte de la Belgique, pays colonisateur.

Des anciens combattants de Lubumbashi. Kyondo tv
Des anciens combattants de Lubumbashi. Kyondo tv

Ils étaient seuls à leur fête

Pas d’autorité politique, pas de chef de l’armée… le chef de la division des anciens combattants se trouve seul avec ses retraités. On les attend jusqu’à trois heures près. Mais ces absences déçoivent et, quelqu’un ne manque pas de noter qu’il s’agit là d’un sabotage et un manque de considération. Finalement, tout démarre.

L’équipe va s’incliner sur les tombes des autres combattants de la seconde guerre mondiale, au cimetière Sapin, au Nord-Est du centre-ville de Lubumbashi. « On nous a amenés au cimetière sapin. Si je meure, où serais-je enterré ? Nous devrions avoir un cimetière réservé aux anciens combattants comme souvenir », estime un ancien combattant.

Pourquoi pas ? Il devrait être un monument, ce cimetière, s’il était créé. Avoir combattu durant la guerre mondiale, et surtout après les victoires de Gambela en Abyssinie (actuelle Ethiopie), n’est-ce pas un honneur dont se targuent les forces armées congolaises ? En réalité, on a besoin de gloires, de références pour doper les esprits de jeunes soldats et même flatter l’orgueil des congolais qui, depuis leur naissance, n’ont fait qu’assister à des défaites de leurs armées.

Un ancien combattant nonagénaire (40-45) à Lubumbashi. Kyondo tv
Un ancien combattant nonagénaire (40-45) à Lubumbashi. Kyondo tv

Si Lubumbashi a immortalisé cette victoire qui a surtout servi aux Belges, en baptisant Gambela, un quartier de la ville, ou Kenya cette commune des plus célèbres en mémoire du Kenya, pays par où les combattants congolais sont passés de retour de la campagne d’Abyssinie,… pourquoi ne pas immortaliser des gloires vivantes : les combattants encore en vie ?

Pas de gloire pour les anciennes gloires

Le quotidien de ces retraités est difficile. Loin du rêve vendu par les télévisions étrangères à propos des anciens combattants des colonies françaises, par exemple, ces retraités ont 1796 FC, soit environ 2 USD mensuels comme rente de la part de l’Etat. Cela a été confirmé par le chef de la division des anciens combattants.

« Nous ne vivons pas bien, notre vie  n’est pas heureuse, dit un retraité de 81 ans. Notre rente est insuffisante. On ne peut même pas se payer un sac de farine avec cet argent. On a pourtant servi le pays, mais aujourd’hui on n’a rien d’important. » Un autre ajoute :

« Nous n’avons pas accès aux soins de santé, je te le dis. Il n’y a aucun hôpital qui nous soigne. Nous mourons comme des chèvres sur la route. »

Un jeton sur lequel est inscrit le montant de la rente des anciens combattants
Un jeton sur lequel est inscrit le montant de la rente des anciens combattants

La plupart de ces retraités de l’armée congolaise qui plus sont des anciens combattants de la seconde guerre mondiale, vivent grâce à leurs familles.

Les monuments disparaissent

Les tombes des anciens combattants à Sapin, Lubumbashi. Kyondo tv
Les tombes des anciens combattants à Sapin, Lubumbashi. Kyondo tv

La signature de l’armistice, la fin de la première guerre mondiale devenue depuis la fête des anciens combattants dans plusieurs pays du monde, est aussi une fête de l’armée, des retraités en RDC. Si à ce jour il n’y a plus de survivant de la grande guerre à Lubumbashi, les monuments disparaissent progressivement eux aussi. Les avenues qui portaient les noms des victoires de la Force publique sont débaptisées. C’est le cas de l’avenue Tabora, qui rappelle le succès enregistré à Tabora, une ville du Nord-Ouest de la Tanzanie. Le monument dédié à un élève, mineur, enrôlé dans la force publique pour la première Guerre mondiale au collège Imara a simplement disparu. Seuls les plus anciens peuvent s’en souvenir encore.

Au centre-ville, Place de la Poste, un autre monument à la gloire des combattants congolais de cette guerre a été déboulonné sous le Zaïre. Il n’y a pas non plus de trace à son propos. Seul demeure à cet endroit, le socle qui avait porté ce monument : « il reste le même sur lequel est bâti celui de Moïse Chombe », renseigne un historien.

Il n’y a pas plus grand monument que l’homme qui a vécu l’histoire de son temps. A propos des guerres mondiales, ici la seconde plus proche de nous, Lubumbashi garde encore 13 monuments: des retraités. Parmi eux, un compte 90 ans, l’autre 81 ans, et les autres viennent juste après ce dernier. Ils sont tous fatigués, et par la forte de la précarité de leurs conditions économiques, ils risquent de partir dans la tristesse. Ce serait alors triste de n’avoir pas rendu justice à l’histoire. Vers le centenaire de la Grande Guerre: qu’apportera la RDC comme monument? Si l’on n’y prend garde, en 2018, on risque de célébrer le centenaire sans vrai ancien combattants à Lubumbashi.


Ces Mamans bien-aimées des écoliers de Lubumbashi

Comment les écoliers consomment-ils l’argent qu’ils reçoivent des parents à Lubumbashi ? Il y a des aliments qui ne sont prisés qu’à l’école : le manioc, les arachides, etc. Voilà où va leur argent. Certaines vendeuses sont devenues fidèles et ont fidélisé écoliers et responsables d’écoles ou enseignants. Et ce n’est pas fini. Même au-delà des écoles, ces muoko (maniocs) circulent dans des bureaux. Ils sont bon marché, mais aussi sont inoubliables tant qu’ils résistent au temps.

C’est décidément un phénomène social, de tous les âges. Je le crois bien. Un jour, pour marquer sa proximité avec sa société et surtout dire qu’il est des conditions ordinaires, celles de tous les citoyens, un ministre arrivé à l’entrée d’une école célèbre s’arrête : « Où est partie la maman Fifi (je choisis ici un faux nom) qui rôtissait du manioc ici ?» demanda-t-il. La question, aussi vague qu’elle vous paraisse, était malgré tout précise. Qui pouvait ignorer cette brave maman Fifi ! « Elle était la meilleure. Nous venions acheter des tranches de manioc et des cacahuètes chez elle, puis on repartait pour les cours » conclut le ministre. Ses anciens camarades d’école parmi ses conseillers et sa délégation se rappelèrent les bons vieux moments.

Un bassin de maniocs et arachides
Un bassin de maniocs et arachides

Ces habitudes qui durent

Non ! Il est toujours là, ce beau moment. Seulement il a changé, il change avec les âges. Aujourd’hui, bien plus qu’à l’époque du ministre, elles sont devenues nombreuses. Dans certaines écoles, elles ont obtenu des coins bien connus de tous. Tous : officiels et écoliers. Parfois tout le monde y descend. Parfois aussi, quand cela semble gêner, ce sont les élèves qui achètent pour leurs enseignants ou directeurs.

C’est un sacré casse-croûte, ces tranches de manioc. Il y en a à tous les goûts : du manioc rôti, frit, préparé à l’huile de palme et à l’huile végétale, cuit sur du charbon de bois et même à l’état naturel, mangé comme carottes. Et cette dernière catégorie (manioc consommé comme carotte) aurait des vertus aphrodisiaques. Les vendeuses le savent tout autant que les acheteurs hommes. Les tout-petits ne s’y hasardent pas du tout. Et les cacahuètes, c’est aussi varié : torréfiées, crues-sèches, crues-trempée donc rafraichies, et même préparées à l’eau et salées. Il faut en manger !

Voir ici la vidéo : Ces recettes bien-aimées des écoliers lushois

Loin des écoles, dans des bureaux, ils circulent fort ces maniocs. Tout le monde a consommé du manioc à l’école. Et lorsqu’on voit passer les vendeuses, rebelote ! Bonjour les souvenirs. Et elles sont les bienvenues, ces vendeuses qui renvoient chacune à une maman Fifi bien particulière! Un employé d’une des régies financières de l’Etat établi à Lubumbashi raconte :

« Il y a des femmes qui venaient avant vendre ces maniocs à notre bureau. Moi, j’achetais chaque jour (…) D’abord parce que cela coûte moins cher :500 FC (environ 0,5 UDS) ou le double y  compris avec de l’eau de boisson. Ensuite, parce que j’aime vraiment ces maniocs… Je n’ai jamais compris comment tout le monde est devenu accro. Finalement, les chefs ont décidé que ces femmes en apportent tous les jours et pour tout le monde. Aujourd’hui, elles arrivent le matin, et celui qui veut reçoit sa part. À la fin du mois, elles sont payées bien plus que ce qu’elles gagnaient avant en circulant à travers la ville. »

Un moyen de survie

Des élèves achètent du manioc. M3 Didier
Des élèves achètent du manioc. M3 Didier

Ce lundi 10 novembre 2014 dans la matinée, je les ai trouvées encore dans une des grandes écoles de Lubumbashi. Leurs marchandises sont variées. Outre les gammes de manioc et arachides, il y a des beignets, des croquants, du pop-corn, des jus divers, de l’eau,  des biscuits aussi. Ces femmes sont rejointes par des jeunes gens qui vendent des œufs et des cervelas qu’ils découpent en petites tranches. Dans d’autres écoles, même dans les institutions supérieures et universitaires, si elles ne sont pas installées quelque part, elles s’installent à l’entrée ou se créent des espaces en face.

Les prix sont bon marché. Tout part de 100 FC, environ 0,1 USD. Arrivées chargées des marchandises, souvent ces vendeuses repartent presque délestées. Mais malgré cet apparent succès, plusieurs reviennent chaque année à la même activité. Une preuve que cela ne prospère pas du tout ? Une femme confie :

« Je ne gagne pas grand-chose. Mais il faut que je vienne chaque jour ici et que les responsables d’écoles ne me chassent pas. Il faut aussi que je ne tombe pas malade. Alors je peux payer les frais d’études pour mes enfants. Il faut qu’ils étudient eux aussi, vois-tu ? Et ce qui va rester, je mangerai avec les miens ».

La maman Fifi, bien-aimée du ministre ci-haut cité, avait réussi elle aussi à envoyer même son fils à l’université avec ce petit boulot, mais ce sont là des succès marginaux. Principalement, ce commerce est un moyen de survie dans une ville où la population et la pauvreté s’accroissent.

Des risques des maladies

Des jeunes gens achetant des œufs dans une école à Lubumbashi. M3 Didier
Des jeunes gens achetant des œufs dans une école à Lubumbashi. M3 Didier

Les écoliers sont friands de ces aliments, surtout à l’école. Parfois, à voir les conditions physiques de certaines vendeuses et vendeurs il y a à craindre des maladies. Un jeune homme explique qu’il ne peut pas manger des aliments. « Papa me l’interdit. C’est sale, ce n’est pas bien cuit », précise-t-il. Mais allons, « Sais-tu d’où vient tout ce que tu manges ? Qui te rassure que ce que tu paies dans les supermarchés est toujours propre ? » rétorque un autre écolier. Pas toujours évident.