Didier Makal

Fous ou prodromes d’une insécurité ?

Ce dernier temps, des fous sont de plus en plus visibles dans la ville de Lubumbashi. Pensez-vous à une saison de folie ? Il semble que cela n’existe pas. Pourtant ils ont tendance à augmenter ! Cela fait maintenant trois fois, comme ce jeudi 30 octobre, que la mairie appelle proches de ces personnes à les reprendre, rien ne bouge ni de sa part ni de celle des familles qui restent toutefois difficiles à connaître. Ce vendredi 31 octobre, ils devront aller loger dans un auspice aménagé pour eux. Mais on ne sait pas si cela devra durer.

Les malades mentaux (les fous) errant dans les rues de Lubumbashi seront internés ce vendredi 31 octobre à l’Hôpital Jason Sendwe après un tri qui sera effectué au centre Kasapa. Le centre aménage à cet hôpital peut accueillir jusqu’à 106 personnes. Le médecin chef de cet hôpital a insisté sur les préalables pour que cette opération réussisse. La maire adjointe de Lubumbashi pour sa part, rassure que ça va marcher.

Les fous en circulation libre

Source: www.tele50.com
Source: www.tele50.com

Vous pensez à quelque incident produit par ces personnes ? Pas du tout. En tout cas, pas un qui ait été rapporté au grand public. Deux constats pourtant étonnent. Le premier est que les fous se promènent librement en ville depuis plusieurs années. Il existe des endroits transformés comme des loges de ces malades mentaux ou fous, bien connus du public. Au complexe scolaire Kiwele, à côté de la route Lumumba il y en a un. Ce citoyen n’est pas n’importe qui. Il est bien ordonné. Il a le temps d’aller chercher à manger. Lorsqu’il est de retour chez lui, en dessous d’un arbre, il cuisine, dine et sieste. Et cela, à des heures précises tous les jours ou presque. Il est là depuis plusieurs années.

A la sortie du tunnel vers le quartier Bel-air, là il y a un autre. Un peu plus loin, sur l’avenue des cimetières au croisement avec Des plaines, là s’installe un autre encore. Proche de l’Eglise Méthodiste, au centre-ville, à la poste vit un autre (qui pourrait avoir déménagé, s’il est encore en vie) ; la liste est longue. Et je ne considère pas ici, ceux qui vivent dans les communes et quartiers dans les mêmes conditions.

Une augmentation des malades mentaux

Le second constat est que ce dernier temps, on voit un peu plus ces personnes en nombre croissant. Ce n’est pas de ces fous, bien connus des lushois dont il s’agit, mais de nouveaux. Un homme se demandait il y a quelques jours, pourquoi de plus en plus de personnes malades, des fous dans la ville. C’était dans un taxi-bus. Des sujets comme ça intéresse beaucoup de gens ! J’ai pu noter des clichés et des arguments intéressants.

Facilement quelqu’un dit « ils cherchent à devenir riches, ils ont touché aux fétiches et cela a mal tourné ». Beaucoup de gens semblent favorables à cette version plus facile à gober. Puis, la conversation devait s’arrêter là. Arrive alors cette réaction d’un homme resté calme qui nous oblige à réfléchir. L’homme établit une relation entre l’apparition de plus en plus remarquable des fous et l’accroissement de l’insécurité dans la ville, et ce, à travers l’histoire de ce pays. Un fait pas anodin, selon lui, le cas présent. C’est une supputation, faut-il noter.

Des faux fous ?

Cette dernière considération semble avoir le vent en poupe. Cela fait trois fois, la mairie de Lubumbashi appelle les familles des fous en circulation dans la ville, à les retirer. Appel apparemment jamais suivi d’effet. Ce jeudi 30 octobre, elle a annoncé une campagne d’identification de ces personnes en vue de les retirer de la ville et leur trouver un autre cadre. On ne dit pas assez comment cela se passera ni comment les gérer.

Mais l’idée d’insécurité dans la ville et le retrait de ces personnes ne semble pas du tout anodine. Ce dernier temps, Lubumbashi est à nouveau militarisé. Aux endroits stratégiques comme la Place Moïse Chombe, le Carrefour, etc. on voit la Police militaire bien armée. On est habitué à voir ce déploiement chaque fois qu’il y a inquiétudes sur la sécurité. C’est ce qui est arrivé lorsque les miliciens Bakata Katanga étaient entrés dans la ville, il y a une année. Plus encore, des coups de feu parfois duratifs sont ont été annoncés cette semaine au quartier Hewa Bora.

Et alors, être fou ou mal fichu, c’est-à-dire sale, cela met mal à l’aise à Lubumbashi. La raison est simple. A l’entrée des Bakata Katanga, il y a une année, ces personnes étaient identifiées par leur accoutrement. On les identifiait comme « des gens sales ». Rien d’anormal, ils viennent d’un maquis. Cette saleté est donc loin d’être leur mode de vie. Les témoignages recueillis après cette entrée spectaculaire faisaient état de la mort d’un fou qui logeait au tunnel vers le quartier Bel-air. Un militaire l’aurait pris pour « un may may », vu son habillement.

Ceci dit, il n’est pas étonnant que l’autorité urbaine se tracasse d’une possible existence parmi ces personnes, des faux malades mentaux. Néanmoins, en les évacuant, la ville peut espérer avoir résolu un problème : la confusion ou du moins, toute suspicion possible sur les vrais et les faux fous.

La mesure de la mairie pourrait ne pas être motivée par ces raisons, c’est possible. Mais il demeure que dans la relation des causes à effets, cette présence dérangerait. Mais aussi, ces compatriotes, malgré leur état de santé, méritent quand même un encadrement et une dignité. Et dans ce cadre, la mairie a raison de les retirer pour les garder quelques part. Mais cette décision semble intéresser nombre des lushois. Mais on ne sait pas encore si elle aura longue.


Allons donc en Occident !

« Quel est le pays de tes rêves ? » me demande un jour un ami. « La RDC » lui répondis-je. Réaction immédiate : « Tu es un gros con, mon petit ». Je ne pouvais pas accepter d’être ainsi qualifié. « Toi aussi, tu en es un… un très gros con », répliquai-je. Tout était réuni pour le pire. Pourquoi ? Deux opinions fortement opposées sur l’Occident. Partir ou ne pas partir ? Pourquoi donc ? Pas toujours facile le consensus parmi les jeunes sur la question de l’immigration. Cet échange s’est passé à Lubumbashi, je l’ai vécu comme je vous le raconte.

On vient de finir le montage vidéo d’un reportage. On peut papoter. Allons, quoi ! On parle des rêves. Rêvons donc. Thys, un collègue de service vient de quitter la dernière fenêtre où il a lu des infos sur « comment immigrer en … ». Internet, ça le connaît. C’est presque un as de l’informatique. Il a une licence en droit. Il est intelligent, de temps en temps il m’impressionne. Chez lui à la maison, il a un écran plasma connecté à un décodeur qui lui donne des chaînes cryptées, un PC, un téléphone androïde connecté… quand il parle de l’Occident ou d’ailleurs, il ne dit pas des âneries. Mais c’est sans y avoir été. C’est l’Occident d’après la télévision et Internet : des images sélectionnées, orientées.

Trop vieux pour mon époque

Dakar, Source: @africa24tv
Dakar, Source: @africa24tv

Vient alors cette question qui a failli nous plonger dans une dispute. C’est amical avant que ma réponse ne vienne tout vaciller. « Je préfère vivre dans mon pays, la République démocratique du Congo. » Pourquoi, me demande-t-il ? « Je ne vois pas pourquoi aller ailleurs. Je devrais savoir quoi y faire. C’est pour une mission ? Ça va. Puis, je serai de retour chez moi. Pour les études, une formation : avec plaisir,  je partirai. Pour autre chose, je vivrai ici jusqu’au dernier jour. » Voilà qui fait de moi un con, un gros con.

C’est quand même beaucoup, hein ! (Con, puis gros con !). Allons. Mon ami s’explique : « Tout le monde attend le jour où il pourra sortir de cet enfer (le Congo). Mais tu t’obstines à croire que tu peux vivres ici. Crois-tu que ton petit boulot ici te mènera quelque part ? »… Je reste calme. Il ne manque pas de raison, dans une certaine mesure. Mais je ne me laisse pas endoctriner comme ça. L’esprit cartésien, il est à nous tous. « Qui t’a dit qu’ailleurs on vit toujours mieux ? C’est Internet, la télé ? Les chômeurs, même en Occident, le bien industrialisé Occident, même aux Etats-Unis, en Chine… ils sont là. Les gens dorment affamés. Sans doute, dans une autre forme que chez nous. Mais qu’est-ce qui vous rassure qu’en y allant vous réussirez ? » Un étudiant avec qui j’ai décidé de discuter sur cette question, un peu plus tard était formel : « Je finis ma licence, je pars en Europe. Je ne peux pas rester ici. Même si je devais laver les cadavres ! »

Allons donc ailleurs, en Occident !

Thys s’est senti offensé. La conversation est troublée. Allons donc ailleurs ! Où ?­ – En Occident. – L’Occident reste la terre des rêves, c’est plus fort que nous. Je l’avoue. (Faites attention quand je dis nous !) Durant les années de la colonisation, on a passé le temps à présenter le pays des blancs comme le plus beau, proche de Dieu et parfois où Dieu réside ; le pays où il fait beau vivre ! En plus, tous les meilleurs d’Afrique, or, diamant, cuivre, bois, les malles d’argent et même les savants, c’est en Occident qu’ils se rendent. Et quand on pense à ces guerres qui parfois sont alimentées par des entreprises occidentales… alors, allons chez eux pour être en paix.

On est frères, n’est-ce pas ?

kapanga
Un camion en route vers Kapanga, Katanga. Source: Elkap

Occidentaux, Africains, on a quand même une histoire ! Vous venez chez nous, ça ne dérange personne ou presque. Laissez-nous aussi venir chez vous !

Les échos de l’Occident ces dernières années sont de plus en plus dissuasifs : des embarcations qui chavirent en voulant traverser la Méditerranée ou l’océan Indien, des mesures sécuritaires assez drastiques aux frontières… Ils sont là comme moi, à croire que l’on peut mieux être ici. Mais c’est plus à la mode d’aller ailleurs. Même dans les quartiers, on le voit quand arrive  celui qui est allé ailleurs, et qu’on a perdu de vue  pendant un temps. Heureusement, chacun finit toujours par reprendre sa place.

Mais il y en a quand même qui tentent d’immigrer. Ils sont le plus souvent découragés par la situation politique et économique de leurs pays. A qui servent nos croissances ? 90% des Congolais à l’âge de travailler seraient sans emploi !

Soutenir le vivable en Afrique

Pour arrêter ce fol élan des jeunes pour une immigration vaille que vaille, l’Occident devrait se rappeler qu’on est quand même frères et qu’on a en commun un passé. Surtout, il s’agit de veiller à ce que la démocratie et la transparence s’installent, un peu comme les Etats-Unis se sont penchés sur l’Europe après la Seconde Guerre mondiale avec le plan Marshall.

Tant que l’Afrique continuera à symboliser la misère, alors on n’arrêtera pas de se rendre au paradis, on nous l’a dit et nous l’avons assimilé. Dommage si celui qui nous l’a dit a menti » a déclaré un jeune qui reste encore déterminé à immigrer. Il attend son opportunité.


Ntumba Kaja : Le premier bâtonnier femme de RDC, 2e d’Afrique

Il n’y a pas de féminin pour un bâtonnier. Mais la femme bâtonnier à Lubumbashi, il y en a. Une première ! C’est depuis dimanche 19 octobre dernier. Maître Rose Ntumba Kaja n’est pas que première de RDC, elle est aussi deuxième d’Afrique, précise-t-on, arrivée à ce niveau. Le monde des avocats intègre plutôt lentement le concept genre.

Rose Ntumba Kaja, Bâtonnier du barreau de Lubumbashi. Capture d'écran
Rose Ntumba Kaja, Bâtonnier du barreau de Lubumbashi. Capture d’écran

Le 12e bâtonnier du barreau de Lubumbashi est une femme peu ordinaire. Mère de 4 enfants, mariée, Me Ntumba Kaja est née en 1959. Licenciée en Droit économique et social de l’Université de Lubumbashi depuis 1993, université où elle est chef de Travaux, sans doute en préparation de sa thèse de doctorat. Avocate à la Cour pénale internationale, elle compte une carrière professionnelle de 19 ans maintenant, une des expériences des plus remarquables. « Ça fait 19 ans que je suis avocate. J’estime que j’ai une maturité professionnelle permanente et suffisante qui va permettre d’accomplir cette lourde mission qui m’a été confiée par les avocats… J’ai presté au prétoire, j’ai assumé des charges au conseil de l’ordre, j’ai même assumé des charges de l’ordre sans même être au conseil de l’ordre. Ma proximité avec les avocats en tant que présidente de la caisse mutuelle de l’entraide des avocats… tout cela m’a permis d’être au quotidien des problèmes que les avocats rencontraient. Je suis prête à apporter une pierre à l’édifice de notre barreau. »

Cette élection n’a pas été facile, même si dans une certaine mesure, elle était parmi les pressentis capables de briguer ce poste. Débutée à 11 heures, elle a pris fin le lendemain à 5 heures, sans trêve. Elle a tenu jusqu’au second tour de cette élection qui a aligné 7 candidats dont 2 étaient femmes, avec en face maître Gabriel Mulunda. Les avocats ont finalement porté leur préférence sur elle.

De la rigueur au barreau

Les avocats du barreau de Lubumbashi au cours des dernières élections.
Les avocats du barreau de Lubumbashi au cours des dernières élections.

Les réactions des avocats semblent s’accorder sur la rigueur et la discipline de Me Ntumba Kaja. Même les étudiants à la faculté le reconnaissent. Pour une femme qui doit diriger des hommes qui plus sont intellectuels, des avocats, il faut bien de la rigueur, de la discipline. Le monde des avocats connaît de problèmes qui demandent parfois de la rigueur.

« Une femme dynamique, compétente, aussi rigoureuse, qui va certainement protéger ce corps », dit Patricia Tshama, avocate au barreau de Lubumbashi. « Nous croyons en la réussite, nous croyons au changement », affirme Gisèle Kasembele, avocate elle aussi… Nous serons égales, à l’égalité de l’homme ». Grégoire Mukendi : « C’est une femme compétente, qui s’y connaît. Une dame qui a une maturité suffisante. Elle a une connaissance suffisante du droit, elle maîtrise bien les règles déontologiques. »

Et si les politiques prenaient pour modèle le barreau ?

Jacques SHESHSA
Jacques Shesha, bâtonnier sortant du Barreau de Lubumbashi. Capture d’écran

Pour Jacques Shesha, bâtonnier sortant qui n’a pris qu’un mandat, promettant de ne pas briguer un second pourtant permis, c’est bien le changement qu’il voulait qui arrive. « L’alternance c’est la sève qui vivifie l’arbre de la démocratie. Le barreau a démontré que la démocratie est à la portée de tous. Elle est vécue, son berceau, c’est le barreau. Vous en avez vécu l’expérience … la parole de l’avocat, l’alternance, voilà des valeurs fondamentales que nos politiciens devront récupérer pour la démocratie.»

Les mots du bâtonnier sortants ont nerf insinuatif et se réfèrent à l’actualité politique du pays : la fin de mandat. C’est sans doute une question qui divise en RDC. Jacques Shesha qui est un ancien député, sait bien à qui il s’adresse en donnant son exemple et surtout en lançant : « voilà des valeurs fondamentales que nos politiciens devront récupérer pour la démocratie.»

Le barreau de Lubumbashi qu’elle dirige désormais et dont elle devient le 12e bâtonnier, est le plus ancien de la République démocratique du Congo. Pas de problèmes alertant hormis cette colère des avocats il y a quelques mois, contre le bâtonnier général à Kinshasa. Ils lui reprochaient des décisions cavalières et pas du tout démocratiques, à l’endroit des barreaux et des avocats.