En temps congolais, le retard n’existe pas
C’est une des rares institutions très ponctuelles en République démocratique du Congo. Le retard. S’il ne peut passer pour une caractéristique d’un peuple, tant son essence humaine s’impose, le retard a pris une place de choix dans et à côté des cœurs de nombreux congolais.
C’est connu de tous : si vous invitez des amis à manger, dites-leur de passer à midi si votre repas sera prêt à 14 heures. Car plusieurs seront retard. Surtout, espérez recevoir quelques uns vers 18 heures. Rien à voir avec le Temps Universel. C’est l’heure congolaise. Les Congolais eux-mêmes l’appellent ainsi. Déjà le port de montre s’amenuise. Le retard a dépassé la normalité, il s’institutionnalise.
L’heure congolaise dépend de l’invité
Les Congolais ont créé leur temps. L’heure congolaise signifie que les Congolais sont dans un autre système de normalisation, pas celui du type ISO où l’heure GMT est unique pour tous. Non, l’heure congolaise est connue seulement de l’invité. Après tout, le plus important, n’est-ce pas l’invité ?
Aussi puissant que Dieu le père, l’invité seul sait à quelle heure il arrivera à un rendez-vous. Ainsi, en juillet 2015, à une fête de son ordination, un prêtre a eu tort de s’énerver, car, prévue à 18 h00, la réception qu’il offrait n’a démarré que 2 heures plus tard. Seulement une cinquantaine des 500 invités ont respecté l’heure indiquée. Et lorsque une heure et demie plus tard, le nouveau prêtre a voulu se retirer, une femme lui dit : « Mais c’est l’heure, mon père ! »
« Parfois j’ai honte d’être ponctuel à certains endroits », déclare un religieux, ennuyé.
Les officiels sont des plus en retard lors des rencontres
En janvier 2015, un ministre attendu à Lubumbashi à un meeting est arrivé 6 heures TU plus tard. Il devait lancer les activités humanitaires pour une nouvelle année. Les responsables des agences du système de l’ONU, expatriés pour la plupart, étaient à bout de nerfs alors que trois heures plus tard, ils attendaient toujours. « Ah, les Congolais ! », soupire un homme. Déjà un d’eux s’est retiré. Même étant reporter, je me morfondais tout autant qu’eux.
« Je n’aime pas être à une manifestation où l’on attend ministre, maire ou gouverneurs. Ils ne respectent pas souvent l’heure », commente un reporter.
Les officiels congolais sont les plus grands retardataires. Les rares ministres ponctuels sont très vite connus de tous, parce qu’ils surprennent par leur ponctualité qui dérange. Oh, même le normal dérange !
Qui n’est pas souvent en retard est « belge »
A la faculté, à l’école, à la messe ou à la maison, ils restent ponctuels et déplaisent à plusieurs par leur trop grand respect de l’heure. On dit de ceux-là qu’ils sont « belges » pour dire « durs », en référence à la colonisation.[1] Un prêtre en est même arrivé à ordonner: « Après moi, on ferme les portes de l’église », espérant inscrire le respect dans le cœur de ses fidèles dont certains arrivaient même à l’heure de la sortie. Après insultes, il a relâché la pression.
Fin septembre, j’ai vu des demandeurs d’emploi exclus d’un concours à cause du retard. Pour qu’au moins trois femmes y participent, l’employeur a dû attendre plus d’une heure. Le retard, s’est aussi bien conjugué au féminin en RDC. C’est un retard tous azimuts. Même la police et l’armée ne sont pas en reste !
La presse en retard
Vous l’aurez compris, le retard en RDC est vraiment une tare. Même la presse ne peut être comptée parmi les modèles. « Il est 20 heures à Kinshasa. Bienvenue à ce journal sur la RTNC… » A la montre, en réalité, dix minutes sont passées. A ce moment-là, sur RFI, le journal a pris fin. Cinq minutes plus tôt, une télévision de Lubumbashi annonçait, en retard : « Il est 20 heures juste ».
Les émissions qui démarrent à l’heure inscrite au programme sont néanmoins peu nombreuses. Un programme censé s’arrêter à 10 heures 30 continue jusqu’à 50 alors que les invités d’un programme à suivre attendant au couloir. « J’ai commencé avec 10 minutes de retard, je devais les récupérer », explique l’animateur, nulle horreur. Dans la presse, on a même des hebdomadaires qui paraissent jusqu’à deux fois l’an.[2] Tout cela se comprend au Congo.
Cinq égalent dix
Rien d’étonnant à ce que des députés et sénateurs élus pour cinq ans en fassent dix dans ce pays. Parce que finalement cinq égalent dix et le tout ne renvoie qu’à un seul mandat pour les sénateurs et députés provinciaux, en temps congolais. Quoi de plus normal donc que les élections prévues en 2016 aient lieu deux ou trois ans après.
En RDC, le retard transparait dans plusieurs actions et décisions publiques. Très peu d’anticipation et de prévision. Des lois sont votées en catastrophe, le découpage territorial est réalisé très en retard, accentuant au passage des rivalités tribales. En retard aussi se réveillent les politiques pour préparer des élections « apaisées ».
[1] Vus alors comme colonisateurs et rejetés de ce fait. La communauté a tendance à réprouver la rigueur.
[2] « Le 9 décembre 2010, écrit Etienne DAMOME dans Le kiswahili dans les médias audiovisuels de Lubumbashi (CEDIK, Kinshasa, 2012), on vendait le 481e numéro de l’hebdomadaire L’éveil de Joseph Poucora Basongo qui était (…) sur le point de clore ses 18 ans d’existence. C’est donc un hebdomadaire qui paraît environ deux fois l’an. Comment comprendre?»et le tout ne renvoie qu’à un seul mandat
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