Médias congolais, embuscade et impunité
Les médias pris en embuscades, ça se passe à Lubumbashi, en République démocratique du Congo. Les atteintes à la liberté de la presse, entraînant le recul de la liberté d’expression et du droit d’être informé pour la population, ont trouvé un autre mode opératoire. Un mode plus discret, moins alarmant, pourtant très efficace : l’impunité fiscale. Elle compte déjà 4 médias victimes !
« Les chaînes de radios et télévisions qui appartiennent aux membres de l’opposition politique ou qui critiquent les membres du gouvernement, sont systématiquement fermées pour divers prétextes, notamment, le non-paiement de taxes », écrit un rapport publié par l’IRDH, Institut de recherches en droits humains, une ONG basée à Lubumbashi.
Voilà qui devient intéressant ! Entre janvier et mars 2016, parmi les trois médias appartenant aux opposants politiques, deux ont été fermés à Lubumbashi, pour non-conformité au fisc. Deux de ces trois médias, Nyota radio-télévision et Mapendo télévision, appartiennent à l’opposant Moïse Katumbi, candidat déclaré à la présidentielle ; le 3e média, La Voix du Katanga, est propriété média de l’opposant Gabriel Kyungu wa Kumwanza, ancien président de l’assemblée provinciale du Katanga et ancien gouverneur de la province du même nom. Une année plus tôt, Radio télévision Lubumbashi Jua (RTLJ) de l’opposant Jean-Claude Muyambo était fermé pour le même motif, accusé en plus, d’attiser la haine.
Un guet-apens contre les médias ou impunité empoisonnée ?
Non-conformité au fisc, le motif évoqué par l’administration est réel, note l’IRDH dans son rapport. Seulement, cela reste loin d’être la vraie raison qui ferme ces médias émettant la voix contradictoire. Ce qui se passe en réalité est une « impunité fiscale », constate l’IRDH :
« Le gouvernement entretient l’impunité fiscale pour les radios et télévisions qui chantent à la gloire du pouvoir : « Wumela », c’est-à-dire, la conservation du pouvoir le plus longtemps possible », indique le rapport.
Concrètement, les médias qui encensent le pouvoir bénéficient de la négligence des services fiscaux. Plusieurs ne sont même pas inquiétés pour non-paiement de taxes et impôts, à Lubumbashi. Les dettes accumulées et non effacées demeurent cependant. Elles serviront de moyens de pression ou chantage (c’est selon !) le jour où le média passe de Wumela à « Yabela », slogan contraire de l’opposition qui rappelle à l’alternance du pouvoir. Sacré guet-apens, cette impunité fiscale : l’embuscade elle-même ! Il suffit de voir le tableau ci-dessous.
Fermeture des médias, décision politique ?
L’IRDH dresse un tableau représentant les médias fermés, la date de leur fermeture ainsi que la position politique de leurs propriétaires au moment de la fermeture.
Média | Propriétaire | Date de fermeture | Circonstance de fermeture |
RTLJ | Jean-Claude Muyambo, ancien bâtonnier et ministre des droits humains (2007-2008). Président du parti SCODE. | 24 novembre 2014. Motif : non-paiement des fiscs, attiser la « haine » | Le 15 nov 2014, le propriétaire quitte la majorité au pouvoir |
Nyota RTV | Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga, président de TP Mazembe, candidat déclaré à la présidentielle 2016 | 28 janvier 2016. Motif : non-paiement des fiscs | Le 3 janvier 2016, le propriétaire démissionne du gouvernorat du Katanga et quitte le parti présidentiel. |
Mapendo TV | 28 janvier 2016. Motif : non-paiement des fiscs | ||
VKAT | Gabriel Kyungu wa Kumwanza, président du parlement provincial (Katanga), ancien gouverneur du Katanga et président de l’UNAFEC, frondeur (G7) exclu de la majorité au pouvoir. | 11 mars 2016. Motif : non-paiement des fiscs. | Le 16 février 2016, le propriétaire appelle à une journée ville morte à Lubumbashi et a quitté, auparavant, la Majorité au pouvoir. |
Ce tableau révèle que la RTLJ, média de l’opposant Jean-Claude Muyambo, aujourd’hui en prison, est fermé 10 jours seulement après le départ du propriétaire de la majorité au pouvoir, le 15 novembre 2014. Les deux médias de Moïse Katumbi, Nyota et Mapendo sont fermés 25 jours après que le propriétaire a quitté la Majorité. Enfin, VKAT de Gabriel Kyungu a cessé d’émettre 35 jours après que le propriétaire a appelé une ville morte, le 16 février à Lubumbashi.
Le non-paiement des fiscs, pourtant avéré, passe mal comme motif de fermeture de ces médias, à Lubumbashi. Le pouvoir tend des embuscades aux médias, pendant qu’il le célèbre. Il doit ainsi compter sur la peur d’être fermé, pour censurer les médias : les médias eux-mêmes pensent exercer une « responsabilité médiatique » ou parfois, une autocensure. Aucun commentaire officiel sur ce rapport, mais le ministre des médias, Lambert Mende, avait déjà expliqué que la fermeture de ces médias était une décision administrative.
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